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quand cette franchise pouvait déplaire. Dans le monde de Royer-Collard, il était l’objet d’une sorte de sentiment passionné, d’une tendre admiration ; il était de toutes les réunions de la rue d’Enfer, des dîners de Mme Royer-Collard, et de ce côté rien ne se faisait sans lui. Par sa double origine d’émigré et de magistrat de l’empire, il touchait à des régions diverses de cette société un peu composite de la restauration, aux salons royalistes et aux groupes administratifs, militaires de l’époque napoléonienne. Il ne représentait rien d’exclusif. Sa position de président de la chambre étendait nécessairement le cercle de ses relations, de son influence, et en même temps ce qu’il y avait d’attachant dans sa nature élevée et droite lui attirait les amitiés les plus dévouées. Autour de lui, il y avait de ces hommes qui, modestes pour leur propre compte, mettent leur gloire à servir la fortune d’un personnage public d’élite. Le type de ces amis d’un désintéressement absolu était le fidèle et spirituel Froc de La Boulaye, ancien fonctionnaire de la marine, député du centre droit, propriétaire du beau château d’Ay, qui avait voué au brillant président un attachement inviolable. Dans sa famille enfin, De Serre trouvait le bonheur par la grâce de celle qu’il associait à ses succès. Au milieu de cet éclat cependant, il y avait un point noir. De Serre commençait à sentir sa santé ébranlée, sa poitrine menacée. Déjà, avant la fin de la session de 1818, il avait été obligé d’aller chez le baron Louis, à Petit-Bry, pour reprendre haleine par « quelques jours d’air, de campagne et de repos. » Ce n’était encore qu’un premier avertissement.

Au courant de cet été de 1818, De Serre, laissant sa jeune famille dans une campagne aux environs de Paris, à Aulnay, avait entrepris un voyage de santé et d’instruction. Après une halte à Ay, chez M. de La Boulaye, puis en Lorraine, où l’attendaient ses amis, il se rendait en Savoie, à Aix, et il profitait de sa présence dans la gracieuse vallée de Chambéry, au pied des Alpes, pour visiter le Mont-Blanc, le petit Saint-Bernard, décrivant ses courses avec un vif sentiment de la nature. Il ne s’en tenait pas là : en quittant la Savoie, après avoir retrouvé un peu de santé par les eaux, par l’air des montagnes, il parcourait une partie de la France, le Poitou, la Vendée, la Charente, le Bordelais, s’arrêtant successivement à Poitiers, à Niort, à La Rochelle, à Bordeaux, à Nantes. Il ne cédait pas à une frivole curiosité de touriste, il faisait son tour de France en homme public, en esprit sérieux, saisissant l’occasion d’étudier sur le vif l’administration, les opinions, les intérêts, tout ce qui pouvait développer ou rectifier ses vues politiques. A Nantes, il constatait l’alanguissement du commerce, la stagnation du port, suite de la guerre et des tributs accablans : « il nous faut du temps et la