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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/417

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Au siècle dernier, Nantes était peut-être le port de commerce français qui avait le plus de relations avec la mer des Antilles et l’Océan-Indien. Nous possédions alors Saint-Domingue, l’Ile-de-France, les Seychelles ; nous contre-balancions dans l’Inde l’influence anglaise. De tout cela que nous reste-t-il ? Nantes principalement alimentait toutes nos colonies de noirs. Ses négocians se livraient « au commerce de l’ébène, » comme on disait alors par euphémisme, et gagnaient de grosses sommes à ce trafic peu honorable. On allait acheter les malheureux esclaves sur la côte de Guinée, ou plutôt on les échangeait contre des liqueurs frelatées, de vieux fusils, des munitions, des toiles de couleur grossières ; on les empilait par centaines dans des navires mal aménagés, mal ventilés, on les introduisait aux Antilles ou dans les établissemens de la mer des Indes. Il en mourait beaucoup en route, mais les survivans suffisaient pour assurer à ce commerce, qui se faisait partout librement, sous l’égide du pouvoir royal, des bénéfices considérables. Puis les navires rentraient en Loire, apportant à Nantes la cassonade, la mélasse, le rhum, la cannelle, le girofle, le café, que l’armateur entreposait dans ses magasins et déversait de là sur toute la France. C’était une époque de prospérité générale, dont les vieux Nantais ont transmis à leurs fils la tradition devenue légendaire. C’est alors que le commerce de la place a réalisé ses plus beaux profits. Comme les pierres elles-mêmes parlent, il reste de cette époque fortunée, sur les quais de Nantes, des maisons somptueuses, ornées de balcons de fer délicatement ouvragés et d’élégantes cariatides. Ces riches demeures témoigneraient encore de l’éclat du passé, si les hommes en avaient perdu le souvenir.


I. — LE PORT DE NANTES.

C’est le long du quai de la Fosse, qui a été longtemps un lieu de promenade préféré, ou bien sur le bord des îles Feydeau et Gloriette, que se profilent les magnifiques résidences des anciens armateurs nantais. La plupart sont d’une heureuse architecture, et les constructeurs du siècle passé, qui les ont dessinées et édifiées, ont prouvé qu’ils savaient aussi bien tenir la règle et le pinceau que le niveau et le fil à plomb. Aujourd’hui ces demeures ont, pour la plupart, perdu leurs habitans accoutumés, et ont été affectées à d’autres usages. La cour intérieure est déserte, veuve de marchandises, et les magasins profonds, aux voûtes en pierres de taille, où s’entassaient les denrées coloniales de l’un et l’autre hémisphère, sont pour jamais fermés à ces produits. Le commerce a changé d’allures, se fait autrement. La ville s’est étendue, ouverte aux larges percées ; la maladie des maisons neuves a régné