Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait là la compensation des avantages dont ils jouissent, et ils pourraient trouver qu’ils ne les achètent pas trop cher ; mais, dans une société démocratique comme la nôtre, où il n’y a de privilèges pour personne, où chacun a des droits politiques et peut être appelé à gouverner l’état, l’exemption de l’impôt, en tout ou en partie, quand on peut le payer, ne se comprend plus. Il y aurait donc des gens qui auraient des droits sans avoir des charges, et, comme ces gens seraient en même temps les plus nombreux, ce sont eux qui fixeraient le poids de ces charges à répartir sur d’autres. Vit-on jamais aberration plus grande ? Kœderer, dans son Journal d’économie politique[1], dit « qu’il n’est plus permis de mettre en doute l’incompatibilité absolue de l’impôt progressif avec aucun régime social. » Nous ajouterons que cette incompatibilité est encore plus grande dans un pays de suffrage universel que dans aucun autre ; l’impôt progressif y est contraire à la justice et à la dignité du citoyen.

On invoque les idées de philanthropie et de solidarité sociale. Si on veut dire que, lorsque chacun de nous a payé sa part proportionnelle des taxes, il doit encore, suivant la fortune qu’il possède, participer à toutes les œuvres de bienfaisance, de charité qui résultent de cette solidarité, c’est à merveille ; mais il s’agit là d’une obligation morale qui a sa sanction dans la conscience et n’a rien à démêler avec l’impôt, qui est la rémunération d’un service. C’est pour avoir méconnu ce principe qu’on s’est tant égaré et qu’on en est encore à discuter ce qui devrait être considéré comme un axiome fondamental, à savoir que l’impôt doit être proportionnel, rigoureusement proportionnel. On ajoute[2] que, « si on atteint le fonds indispensable, celui qui sert à la satisfaction de nos premiers besoins, on commet un crime pareil à celui qu’on commettrait en diminuant la somme d’air qu’il faut aux poumons, la somme de liberté qu’il faut à la conscience. » C’est abuser de la métaphore ; l’air que nous respirons fait partie des richesses naturelles que l’on acquiert en naissant, elles ne doivent rien à l’état. Il en est de même de la liberté de conscience, c’est le fonds inaliénable de la nature humaine, qui ne dépend pas de l’organisation sociale. On peut penser ce que l’on veut sans que le gouvernement ait rien à y voir ; mais il en est autrement des choses matérielles, même les plus indispensables ; on ne les possède que sous la protection de l’état, par conséquent on lui doit un tribut pour cela. Mais, dira-t-on, il ne s’agit pas d’appliquer l’impôt progressif dans toute sa

  1. Tome Ier, p. 217.
  2. Voyez le Commentaire sur Ricardo, par Alcide Fonteyraud, p, 151 et suivantes. Collection des économistes, par Guillaumin.