Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jugea qu’un séjour de seize ans lui permettait d’étendre son travail : un ouvrage d’un de ses prédécesseurs, le marquis de Bonac (1716-1724), lui fournit les premiers documens nécessaires pour écrire une « histoire de l’ambassade et des ambassadeurs de France auprès des Grands-Seifneurs. » Plus tard, pendant, un voyage qu’il fit à Paris en 1777, il fut à même d’étendre ses recherches et de composer un résumé assez développé des négociations entamées, rompues ou conclues entre la France et la Sublime-Porte depuis François Ier jusqu’aux dernières années du règne de Louis XV. Une introduction rapide donne au lecteur quelque connaissance des événemens qui précédèrent cette époque en Turquie et lui permet de suivre sans difficulté les tentatives, les échecs et les succès de notre diplomatie jusqu’à l’arrivée à Constantinople du comte de Saint-Priest. Son précis politique s’arrête en effet en 1768, date du départ de M. de Vergennes, son prédécesseur. La période de 1768 à 1784 occupe tout entière le compte rendu présenté au roi, qui ne fait pas partie de ce volume.

Le travail de notre ambassadeur ne s’arrêta pourtant pas là : après un mémoire sur le commence et la navigation de la France dans le Levant, mémoire d’une lecture facile, et qui n’a pas le caractère fatigant et monotone qu’affectent le plus souvent ces sortes d’ouvrages, nous trouvons un recueil historique d’un autre genre qui ne manque pas d’appeler l’attention et qui cependant trompe en certains points la curiosité. Le comte de Saint-Priest eut l’idée de joindre à son résumé politique une histoire de tous nos ambassadeurs auprès de la Porte,. depuis Jean de La Forest jusqu’au comte de Vergennes (1534-1768). Cette série de notices fait espérer de nombreux portraits, promet de curieuses anecdotes ; mais c’est l’ouvrage d’un diplomate, d’un diplomate toujours prudent, poli, maître de lui, discret : à longue date, ces belles qualités ne servent guère à l’écrivain, et chaque page conserve trop ce caractère absolument réservé qui sied si bien à la correspondance d’un ambassadeur, mais qui ne suffit pas toujours à nous éclairer. Cependant, pour qui sait lire, sous ce langage si mesuré des critiques aiguës percent ça et là quelques mots toujours délicats, mais gros de pensées sous leur finesse, trahissent un esprit délié, sans grandes illusions, connaissant les hommes et les affaires, peu sujet aux étonnemens. Voyez comme, sans penser à mal, il rappelle d’anciennes plaintes en parlant de l’un de ses prédécesseurs illustres, Jean-Louis d’Usson, marquis de Bonac : ce dernier sollicitait de la cour de France l’envoi d’instructions urgentes relativement à certaine mission fort onéreuse et qu’il importait de retenir à Constantinople. Les réponses n’arrivèrent qu’après le départ de la mission pour Toulon, et « une autre fois, il demeura dix-huit mois sans nouvelles de la cour ; » alors le