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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/491

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des sources de consolation inattendue, se montre plus distinctement encore chez Taubert[1]. Dans son livre le Pessimisme et ses adversaires, il reconnaît bien avec Schopenhauer que le progrès amène une conscience de plus en plus profonde de la souffrance attachée à l’être et de l’illusion du bonheur, mais il exprime l’espoir que l’on pourra triompher en partie de cette misère par les efforts combinés du genre humain, qui, en soumettant de plus en plus les désirs égoïstes, donneront à l’homme le bienfait d’une paix absolue et réduiront ainsi dans une grande mesure le malheur du vouloir-vivre. « La mélancolie même du pessimisme, dit Taubert, se transforme, si on l’examine de plus près, en une des plus grandes consolations qui puissent nous être offertes : non-seulement en effet elle transporte notre imagination bien au-delà des souffrances réelles auxquelles chacun de nous est destiné, et par là nous nous trouvons déçus à notre avantage, mais d’une certaine manière elle augmente les plaisirs qui nous sont accordés par la vie et double notre jouissance. » Comment cela? La raison que l’on nous donne ne manque pas d’originalité : « Le pessimisme nous montre bien que toute joie est illusoire, mais il ne touche pas au plaisir lui-même, il le laisse subsister malgré sa vanité démontrée, seulement il l’enferme dans un cadre noir qui fait mieux ressortir le tableau. » Enfin Taubert insiste sur la haute valeur des plaisirs intellectuels que le pessimisme, selon lui, peut parfaitement reconnaître, et qu’il place dans une sphère supérieure « comme les images des dieux, libres de tout souci et répandant leurs clartés sur les arrière-fonds ténébreux de la vie, remplis soit par des souffrances, soit par des joies qui finissent en peines. » — M. James Sully remarque finement que Taubert lui fait l’effet d’un optimiste tombé par mégarde ou par quelque faux pas dans le pessimisme et qui fait d’inutiles efforts pour se dégager de cette fondrière.

Tandis que Taubert représente la droite du pessimisme, Julius Bahnsen représente l’extrême gauche de a doctrine. Tel il se montrait dans son ouvrage intitulé la Philosophie de l’histoire, tel il se produit, avec plus d’exagération encore, dans son livre tout récent, armé de ce titre terrible : le Tragique comme loi du monde ! En tout ce qui touche au pessimisme et au principe irrationnel d’où il dérive, il dépasse la pensée de Schopenhauer : pour lui, comme pour son maître, le monde est un tourment sans trêve que l’absolu s’impose à lui-même. Mais il va plus loin que son maître en niant qu’il y ait aucune finalité, même immanente, dans la nature, et que l’ordre des phénomènes manifeste aucun lien logique.

  1. Voyez le chapitre V du Pessimisme, de M. James Sully, où ces différences sont finement saisies.