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a raison, si le monde tout entier n’a qu’une explication et qu’un but, faire de la moralité, si la vie est une école d’expérience et de travail où l’homme a sa tâche à remplir en dehors des plaisirs qu’il peut prendre, si cette tâche est la création de la personnalité par l’effort, ce qui est la plus haute conception qu’on puisse se former de l’existence, le point de vue change entièrement, puisque le malheur même est un moyen et qu’il a son utilité, ses conséquences ordonnées et prévues dans l’ordre universel. Dès lors le système de la vie humaine, tel que le développe Hartmann, est radicalement faux. S’il y a réellement, comme cela est possible, probable même, un excédant de souffrance dans la moyenne de la vie humaine, il ne faut pas s’empresser d’en conclure que le pessimisme a raison, que le mal de la vie est absolu, qu’il est incurable, qu’il faut convaincre l’humanité de la déraison de vivre et la précipiter le plus tôt possible dans l’abîme du nirvana, au moyen d’expédiens plus ou moins ingénieux ou pratiques, soit par l’ascétisme systématique qui tarira les sources de la vie, comme le veut Schopenhauer, soit par un suicide cosmique, grandiose et absurde, tel que le propose M. de Hartmann. — Cet excédant de souffrances, s’il existe, est un titre pour l’homme et lui crée un droit. La vie, même malheureuse, vaut la peine d’être vécue, et la souffrance vaut mieux que le néant.


III.

Quel est l’avenir réservé au pessimisme? Pour répondre à cette question, il ne suffit pas de faire ressortir l’exagération violente des thèses qu’il soutient, la stupeur du simple bon sens devant une doctrine qui veut persuader à l’humanité d’en finir le plus tôt possible avec la vie, et au monde lui-même de cesser cette lugubre plaisanterie qu’il se permet en continuant à exister. Il ne suffit pas de répéter ce que Pascal disait du pyrrhonisme outré : « La nature soutient la raison impuissante et l’empêche d’extravaguer jusqu’à ce point. » — A quel concours de circonstances cette philosophie étrange doit-elle son succès et l’ardent prosélytisme dont elle est l’objet? Ces circonstances dureront-elles? Y a-t-il des motifs de croire que cette fortune d’un système si contraire à la nature humaine s’arrête et que cette propagande déraisonnable s’épuise par l’indifférence des uns ou la résistance des autres?

M. James Sully, dans le dernier chapitre de son livre, a voulu définir et classer toutes les sources de cette philosophie. Il expose ce qu’il appelle d’un nom fort à la mode « la genèse du pessimisme;» il en énumère, avec un grand luxe de divisions et de subdivisions, « les élémens et les facteurs externes ou internes. » Selon lui, il