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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/514

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faut considérer la conception optimiste et la conception pessimiste de la vie comme des effets d’une foule de causes plus ou moins cachées dans la constitution intime de chacun de nous. Le pessimisme est à la fois un phénomène pathologique et un phénomène mental. Quand il est poussé à outrance, il révèle une altération grave dans le système nerveux : il devient une véritable maladie. L’optimisme et le pessimisme sont donc, avant tout, une affaire de tempérament, d’hérédité morbide, d’humeur et de nerfs. Il faut aussi faire la part du caractère proprement dit, bien que le tempérament y entre déjà comme un élément essentiel, de l’exercice et du développement de la volonté, plus ou moins disposée à entrer en lutte avec le dehors, à endurer la peine, à l’envisager en face et sans effroi. Il se trouve ainsi qu’il y a des tempéramens optimistes et des tempéramens pessimistes, des caractères heureux et des caractères malheureux, des sensibilités plus ou moins craintives et douloureuses, des natures d’esprit enfin disposées à des appréciations tout à fait contraires, à propos des mêmes faits. Les événemens et les situations de la vie revêtent deux aspects très différens, prennent deux teintes opposées, selon qu’ils se présentent aux uns ou aux autres, aux uns tout prêts d’avance à des interprétations favorables, aux autres enclins à trouver toujours tout en défaut, les hommes et la vie (fault-finding).

Il y a là une quantité d’observations justes et fines. J’en rapprocherai volontiers celle d’un illustre chimiste, devant lequel nous nous entretenions de cette question du pessimisme et qui la résumait ainsi en la ramenant à des termes fort simples : selon lui cette philosophie, avec ses tristes visions, était la philosophie naturelle des peuples qui ne boivent que de la bière. « Il n’y a pas de danger, ajoutait-il, qu’elle s’acclimate jamais dans les pays de la vigne ni surtout en France; le vin de Bordeaux éclaircit les idées et le vin de Bourgogne chasse les cauchemars. » — C’est la solution chimique de la question à côté de la solution physiologique de M. James Sully.

Ce sont là des explications qui ont leur prix; mais il reste bien des obscurités encore dans la question. Il y a eu de tout temps des tempéramens tristes, des caractères malheureux, il y a eu aussi toujours des buveurs de bière ; ce qui n’a pas existé de tout temps, ce sont des systèmes pessimistes, c’est cette vogue inouïe d’une philosophie absolument désespérée. Je doute d’ailleurs que ce genre d’explication réussisse pour les populations innombrables de l’extrême Orient, qui pensent ou qui rêvent d’après le Bouddha; il faudrait modifier beaucoup les formules pour les rendre applicables ici. Mais restons dans l’Occident, et tâchons de ne pas embrouiller une question déjà très complexe. J’accorde l’attention que je dois aux