Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à l’horizon lointain, le flot qui vient expirer sur le rivage, la brise d’un air pur qui balance mollement les barques, enfle à peine leurs voiles, ou bruit dans les grands arbres dont elle incline amoureusement le mobile feuillage, tout est caresse pour le regard dans ces toiles exquises. Le doux éclat dont elles sont comme imprégnées, les belles proportions, la plénitude et le choix des formes, la limpidité de la couleur et ses harmonieux accords vous gagnent et vous captivent peu à peu.

Si dangereuses, si défectueuses que soient généralement les comparaisons de ce genre, on ne peut s’empêcher de songer ici à Haydn et d’unir les deux maîtres dans une même admiration. Comme lui, Claude a aimé son art et rien que son art ; il l’a exercé avec sérénité, avec bonhomie. Même ingénuité de part et d’autre, même disposition à vider une idée, à tirer d’un motif tout ce qu’il contient, même palette peu chargée, et avec cela une constante franchise, une grande richesse d’inspirations, un art accompli pour trouver, avec les moyens les plus simples, des effets toujours nouveaux. Des modulations d’une ténuité charmante, et aussi, quand il le faut, des sonorités pleines et vigoureuses. La force avec la grâce, la clarté toujours : une âme ouverte, expansive et qui ne s’embarrasse pas d’aspirations irréalisables. Comme Haydn encore, notre paysagiste a bien parfois des répétitions peu dissimulées, des procédés d’effet assez élémentaires et des cadences presque surannées; leur candeur même les sauve tous deux, et aux gens qui, sans oser trop le dire, seraient tentés de les trouver un peu vieillots, ils peuvent opposer l’un et l’autre des audaces imprévues, des inventions vraiment grandes et des mouvemens d’éloquence tout à fait entraînans. Cet art, si modeste et si naturel dans ses allures, n’a pas besoin d’enfler la voix pour se faire écouter; son élévation n’a rien de factice. Il va droit devant lui, tout uniment, assuré de cette jeunesse éternelle que prêtent aux œuvres de l’homme la sincérité entière, le continuel souci du beau et de sa parfaite expression. On peut s’abandonner sans réserve à de pareils maîtres, et il convient de ne pas marchander à leur génie des admirations qu’ils ont si loyalement conquises.

La brève énumération que nous venons de faire suffirait à prouver que, même pour les écoles que nous avons déjà passées en revue, la Pinacothèque n’est point déshéritée. Il nous reste à étudier maintenant les chefs-d’œuvre des peintres de la Flandre et de la Hollande qui constituent la vraie richesse et l’intérêt propre de ce beau musée.


EMILE MICHEL.