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M. Mounier, M. de Barante. Ces soixante pairs, dont le nom révoltait les vieux ducs et la cour du comte d’Artois, représentaient une élite des classes nouvelles créées par la révolution, et lorsque dès le lendemain les « ultras, » exaspérés, cherchaient dans cette promotion une arme de plus contre le gouvernement. De Serre pouvait dire avec la hauteur de sa raison : « Accroître l’importance, le lustre de la chambre héréditaire, la mettre dans une heureuse et plus intime harmonie avec la France actuelle, reconnaître de grands et honorables services, assurer au trône, comme à toutes les autres institutions, de nouveaux défenseurs; enfin répondre par des effets à ces paroles d’union et d’oubli que, sous l’inspiration du monarque, un noble fils de France (le duc d’Angoulême) a répandues dans les provinces, voilà les motifs d’une mesure qui a raffermi la confiance et fait croire à la stabilité... » C’était au moins une manière de relever la signification de la mesure.

On avait raison des pairs comme des « ultras » de la chambre des députés, de sorte qu’en fin de compte ces incidens, suscités par l’esprit d’hostilité pour être l’embarras du ministère, n’avaient d’autre effet que d’accentuer plus vivement sa position entre les partis, le caractère et la direction de sa politique. Et à cette époque aussi, comme dans des temps plus récens, il y avait au milieu des plus sérieux conflits d’opinions et de systèmes ce qu’on appelait la question des fonctionnaires. Rien n’est nouveau, ni l’esprit de parti ni l’ardeur des animosités ou des compétitions personnelles. En 1819, c’étaient les royalistes, Chateaubriand en tête, qui s’étonnaient et s’indignaient en comptant chaque jour les destitutions ou les déplacemens des préfets, des conseillers d’état, des magistrats, des officiers, punis, assuraient-ils, pour leur dévoûment à la cause royale. Ils accusaient le ministère de confier la garde de la monarchie à ceux qui l’avaient trahie et qui la trahiraient encore, à des fonctionnaires des cent jours et de la révolution, — comme si un gouvernement pouvait être servi par d’autres que par ses amis de naissance, par ses séides passionnés et jaloux! Il est vrai que, d’un autre côté, les libéraux accusaient à leur tour le cabinet de ne pas destituer assez, de ne pas donner assez d’emplois à ses alliés de la gauche, de laisser en fonction trop d’ultras ennemis des institutions. Un journal aux tendances républicaines, le Censeur, avait seul le courage d’avouer qu’il y avait des questions plus sérieuses, et seul il osait ajouter : « Depuis le changement du ministère, les libéraux de circonstance obstruent toutes les avenues du gouvernement. La réforme qui leur paraît la plus utile, c’est que les ultra-royalistes soient exclus des places, et que l’argent de la patrie soit distribué de préférence aux patriotes! » Le ministère se servait sans doute de ce levier toujours puissant des fonctions publiques; il s’en