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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/574

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non-seulement les maintenir, mais les maintenir dans leurs bonnes dispositions. Et pour cela il ne fallait ni les presser outre mesure, ni les effrayer mal à propos; il fallait même leur passer beaucoup de fautes : on n’est un parti politique qu’à ce prix, on ne garde qu’à ce prix le terrain gagné. » Malheureusement les libéraux avaient, eux aussi, leurs emportemens ou leurs illusions. A mesure qu’ils regagnaient de l’influence par le cours de l’opinion, par les élections successives, ils s’enhardissaient. Ils formaient une gauche, une extrême gauche où la haine des Bourbons devenait un mot d’ordre. Parmi eux, la conspiration était flagrante, organisée. M. de Lafayette, le partisan de toutes les insurrections, le gentilhomme au cœur généreux et à l’esprit vain, conspirait avec une inépuisable candeur. Manuel[1], le plus éloquent tribun et le plus habile tacticien, avait commencé par conspirer, puis il avait paru se calmer, et il finissait par rester irréconciliable. L’alliance des vieux révolutionnaires et du bonapartisme se nouait sous l’apparence des revendications nationales et parlementaires. Le centre gauche ne conspirait pas; mais, en restant fidèle à la monarchie, en suivant à peu près le gouvernement, il ne se défendait pas lui-même de certains mouvemens d’indépendance et d’humeur frondeuse, impérieuse. Les doctrinaires, noyau principal du centre gauche, étaient, selon le mot de M. Guizot, des alliés incommodes. Ils soutenaient le gouvernement en évitant de trop s’engager; sans se confondre avec la gauche, ils se sentaient parfois attirés vers elle. Et tous ces libéraux, à leur tour, ne voyaient pas que par leurs exigences, leurs motions ou leurs dissidences, ils affaiblissaient un ministère qui était leur garantie, qu’en affaiblissant le ministère ils faisaient nécessairement les affaires des « ultras. » Ils s’exposaient à effrayer le roi, à compromettre cette loi même des élections par laquelle ils s’étaient relevés, dont le cabinet restait le dernier garant. Ils créaient la situation la plus fausse à un gouvernement qui avait vécu jusque-là par l’appui des hommes modérés de toutes les opinions et qui pouvait se trouver d’un jour à l’autre avec ses forces du centre diminuées entre deux camps tranchés. Jeu éternel des

  1. La vie de Manuel a été récemment racontée d’une manière complète et avec intérêt dans un livre que M. Ed. Bonnai a publié sous ce titre : Manuel et son temps, étude sur l’opposition parlementaire sous la restauration. C’est l’exposé substantiel de la carrière si courte et si dramatique de l’orateur qui allait être bientôt banni de la chambre par un acte violent d’autorité parlementaire, et qui devait être enlevé par la mort avant la fin de la restauration. M. Duvergier de Hauranne a dit de lui : « Si M. Manuel, orateur distingué et patriote sincère, eût pu ou voulu abjurer cette inimitié (contre les Bourbons) et travailler sincèrement à cette alliance du trône et de la liberté, dont il parlait si souvent et si bien, les rangs du ministère se seraient naturellement ouverts pour le recevoir... » Histoire du gouvernement parlementaire en France, t. V.