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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/578

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inquiètes, le même sentiment d’un gros embarras imprévu et mal venu, les opinions restaient assez divisées sur le point essentiel, — cette loi des élections, dont le maintien avait été une année auparavant un des articles du programme du cabinet. Le général Dessoles, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, le baron Louis, hésitaient devant une réforme où ils voyaient une sorte d’inconséquence; ils cherchaient d’autres moyens sans avoir une initiative réelle et même sans savoir toujours parfaitement le secret des choses. Au fond, tout reposait sur les deux hommes qui représentaient l’action, la direction dans le gouvernement, M. Decazes et De Serre. L’un et l’autre sentaient la nécessité d’un effort décisif pour rassurer les inquiétudes sincères sans livrer la politique modérée à laquelle ils demeuraient attachés, dont le roi lui-même ne voulait pas s’écarter. Dès le début de la crise, ils s’étaient mis à l’œuvre, et, en fin de compte, celui qui pouvait passer entre tous pour l’arbitre de la situation était encore le garde des sceaux, dont l’esprit ardent et réfléchi embrassait dans son intégrité le problème du moment.

Je voudrais préciser cette situation et ce que j’appellerai l’état psychologique de celui qui, par l’autorité du talent et de la résolution, prenait le premier rôle en plein orage. A la vérité. De Serre, comme tous ses collègues du ministère, avait accepté le maintien de la loi des élections, et, en proposant maintenant une réforme, il semblait se contredire. Il se mettait au-dessus de cet inconvénient d’autant plus aisément que cette loi du 5 février 1817 ne lui avait jamais paru à lui-même un idéal. Il avait d’autres opinions, à la fois originales et fortes, qui n’avaient pas prévalu. A la veille de la discussion, il avait écrit à M. Lainé, alors ministre de l’intérieur, ces mots significatifs : « Que demandera toujours le despotisme, sous quelque forme qu’il se présente? Un sol tellement nivelé que rien n’échappe à ses regards, une masse de peuples tellement pulvérisés en individus qu’aucun ciment d’intérêt commun ne les réunisse pour limiter son action... » Il aurait voulu un système électoral prenant pour « base » un certain groupement d’intérêts libéralement coordonnés, et il ajoutait : « De nos jours, en France, l’esprit de système et d’une fausse égalité a repoussé cette base. Il a paru plus commode de dénombrer les habitans, de supputer leurs cotes d’imposition et de les ordonner uniformément sur toutes les cases du territoire, sans égard à la diversité de leurs intérêts, de leurs sentimens. On sait ce qu’a produit depuis vingt-cinq ans cet ordre apparent, ce pêle-mêle, ce chaos réel... » C’est lui aussi qui un jour, dans une fière inspiration, lançait cette image, dont notre histoire a fait plus d’une fois une réalité : « N’avons-nous pas vu combien le despotisme pouvait mener son char à l’aise, les rênes tendues et le fouet levé, sur l’aire aplanie et nivelée? »