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En un mot, De Serre était un libéral redoutant pour la liberté même les excès du nivellement démocratique, et il avait toujours craint que la loi des élections, telle qu’elle avait été faite, ne fût un premier pas dans cette voie. Sans doute, il avait accepté cette loi devenue une des expressions de la politique régnante, il l’avait même énergiquement défendue contre les « ultras; » il ne se sentait nullement obligé, ni par ses devoirs ni par ses opinions, de la maintenir à outrance au profit des révolutionnaires, le jour où les révolutionnaires la compromettaient par une manifestation pleine de menaces. Il se croyait dégagé; seulement, — et voici où l’homme se caractérisait, — De Serre, en acceptant l’idée d’une réforme, ne voulait point en faire un moyen de réaction, un expédient de circonstances. Il élargissait, il transformait le problème de façon à concilier les garanties conservatrices qu’on croyait nécessaires avec un développement nouveau du régime constitutionnel. Il croyait atteindre son but par deux choses : un plan général de réorganisation parlementaire dont le système d’élections n’était plus qu’une partie, et une grande combinaison ministérielle ralliant autour de la politique du 5 septembre, raffermie et reconstituée, toutes les forces libérales et monarchiques des deux centres, même de la droite et de la gauche modérées. C’était la tentative généreuse d’un esprit hardi procédant hautement, franchement, sans arrière-pensée de réaction.

Le plan de réforme constitutionnelle méritait certes le succès. De Serre avait trouvé un complice d’élite dans un homme jeune encore, qui avait déjà brillé à la chambre des pairs, qui avait paru d’abord un peu engagé dans le libéralisme avancé, mais qui n’avait pas tardé à se rapprocher des modérés, le duc Victor de Broglie. Le garde des sceaux avait mis toute sa cordialité à attirer le duc de Broglie dans les commissions où il préparait ses projets libéraux; le duc de Broglie de son côté avait été promptement séduit par la supériorité du ministre, et la jeune duchesse, fille de Mme de Staël, partageant les sympathies comme les idées de son mari, se plaisait, elle aussi, à rechercher l’intimité des De Serre. Elle servait quelquefois de secrétaire pour les grâces à obtenir en faveur des condamnés politiques, dont l’un en ce moment même était Arnold Scheffer, le frère des deux peintres Ary et Henry Scheffer, — et pour cette dernière grâce, elle se chargeait de transmettre à la chancellerie la « vive reconnaissance » de M. de Lafayette. — « J’aurais pu, ajoutait-elle gracieusement, charger mon mari de cette commission ; mais vous me pardonnerez si j’ai été bien aise de saisir cette occasion pour joindre les sentimens que j’éprouve à ceux que j’exprime au nom d’un autre... »

De Serre et le duc de Broglie, liés d’une sérieuse amitié, avaient