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Là-dessus, lord Normanby s’empresse d’aller trouver le ministre des affaires étrangères, M. Turgot, pour lui communiquer cette dépêche : « Rien n’est changé, lui dit-il, dans les rapports des deux gouvernemens ; nous resterons spectateurs attentifs, mais désintéressés, des événemens intérieurs de la France : le cabinet de Saint-James désire garder en toutes ces affaires une neutralité absolue. »

Il ajoute que, si cette communication est un peu tardive, cela tient simplement à des circonstances matérielles et qu’il n’y a eu aucune hésitation dans les conseils de la reine. M. Turgot, qui connaît depuis un ou deux jours la conversation de lord Palmerston avec le représentant de la France à Londres, lui répond aussitôt, non sans malice, que cette assurance est superflue. Lord Normanby n’a pas besoin de justifier le gouvernement de la reine. « Oh ! nous avons mieux que cela, dit-il, mieux qu’une promesse de neutralité, lord Palmerston s’en est ouvert avec le comte Walewski, lord Palmerston a donné son approbation sans réserve à l’acte du président, lord Palmerston a déclaré que le président n’avait pas autre chose à faire. »

On devine l’étonnement de l’ambassadeur anglais ; il affirme à M. Turgot que ses instructions ne renferment rien de pareil, qu’il n’a mission ni d’approuver ni de blâmer, qu’il doit rester absolument neutre, heureux d’ailleurs, quel que soit le gouvernement de la France, de contribuer à maintenir les relations amicales des deux pays. L’entretien terminé, l’ambassadeur se demande s’il n’y a pas là une énorme méprise. Qui donc s’est trompé ici ? Qui donc s’est fait une telle illusion ? Est-ce M. Walewski ou M. Turgot ? M. Turgot a pu interpréter à faux la dépêche de M. Walewski comme M. Walewski a pu se méprendre sur le langage de lord Palmerston. Une explication prochaine dira de quel côté est l’erreur. Or il apprend bientôt que ce n’est pas M. Turgot qui se trompe. Deux de ses collègues du corps diplomatique ont lu cette dépêche de M. Walewski, M. Turgot ayant éprouvé tout naturellement le désir de la montrer aux représentans des autres puissances. C’est donc une affaire à régler entre M. Walewski et lord Palmerston. Lord Palmerston a-t-il tenu en effet le langage qu’on lui prête ? Ou bien M. Walewski a-t-il dénaturé ses paroles ? Lord Normanby se hâte de soumettre le cas à lord Palmerston par une lettre datée du 6 décembre, et il n’oublie pas de lui dire que la dépêche de M. Walewski, la dépêche dont le gouvernement français se réjouit si fort, a été lue, ce qui s’appelle lue, par deux membres du corps diplomatique à Paris. Il y a là de quoi piquer au vif un esprit moins prompt que celui de Palmerston. Qu’il nie ou qu’il avoue, qu’il s’emporte ou s’excuse, il faudra bien qu’il parle. Certainement l’explication arrivera demain. Elle n’arrive ni demain, ni les jours suivans ; pendant toute une semaine,