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c’étaient les princes d’Orléans qui avaient rendu nécessaire le coup d’état de Louis-Napoléon. Le prince de Joinville, quelques jours avant cette date, avait quitté secrètement l’Angleterre et s’était rendu à Lille pour se mettre à la tête des troupes, pendant qu’on le disait malade à Claremont et confiné dans sa chambre. Quant au duc d’Aumale, voyant son frère décidé à cette entreprise, il avait dit : « Mon frère est marin, moi je suis soldat, je ne laisserai pas mon frère s’engager seul dans une expédition de terre, Je l’accompagnerai, je partagerai son sort et sa fortune. » La police particulière de lord Palmerston ayant fourni, on ne sait sur quels indices, les premiers élémens de ce récit, l’imagination du ministre avait bâti là-dessus toute une histoire. La contre-enquête n’était pas difficile à faire ; elle fut exécutée sans retard par des personnes sûres, et la reine put écrire le 17 décembre à lord John Russell que les imputations de son collègue contre les princes d’Orléans étaient absolument fausses. Le prince de Joinville n’avait pas quitté Claremont, le duc d’Aumale se trouvait alors dans le royaume de Naples.

La lettre où lord Palmerston, après un long silence, essaie enfin de se justifier auprès du premier ministre contient donc bien moins une justification personnelle qu’une dissertation sur le coup d’état de Louis-Napoléon. Cette lettre, datée du 16 décembre 1851, a été publiée récemment par M. Evelyn Ashley. C’est tout un mémoire sur la situation de la France à cette époque. Le ministre anglais répète que l’assemblée voulait renverser le président, et il demande ce qu’elle eût mis à sa place. Était-ce Henri V, ou le comte de Paris ? Henri V n’avait pour lui qu’une minorité ; le comte de Paris était un enfant de douze ans et demi, et, dans l’état où se trouvait la France, une régence de cinq ou six années, avec M. Thiers pour premier ministre, n’avait aucune chance de se faire accepter du pays. Lord Palmerston discutait de même le projet de confier la présidence au prince de Joinville ou d’instituer comme pouvoir exécutif une commission de trois généraux. Partout des objections insurmontables, partout la division et l’impuissance. Bref, je cite ses paroles, « le succès de l’assemblée nationale, selon toutes les probabilités humaines, eût été la guerre civile, tandis que le succès du président promettait le rétablissement de l’ordre. » Le ministre expliquait ensuite avec beaucoup de précision les causes du conflit qui avait amené le coup d’état, il montrait les absurdités de la constitution de 1848, il appelait cette loi si laborieusement discutée non pas une constitution, mais une dissolution, puisque l’anarchie devait en être la conséquence inévitable. Qu’était-ce que ces deux forces, l’assemblée et le président, issues de la même origine et condamnées à se heurter perpétuellement, sans qu’une troisième