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que le ministère avait pu encourir ? Tout cela est fort obscur. Ce qui augmente encore l’obscurité, c’est que, dix jours après, le 26 décembre, Palmerston retira sa démission et reprit son portefeuille. Il n’y eut donc sur ce point aucune explication devant le parlement, il n’y eut que les commentaires de la presse et les on-dit des conversations. Ici on parlait d’une grande manœuvre stratégique : Palmerston aurait espéré que lord Lansdowne le suivrait, et, comme cette double démission eût désorganisé le conseil, on aurait été obligé de s’adresser à lui pour reconstituer un ministère. Lord Lansdowne ayant refusé de le suivre, le stratégiste déçu aurait regagné son camp au plus vite. Là, au contraire, on prétendait que la démission n’était pas sérieuse, que Palmerston n’avait jamais eu l’intention de quitter le ministère en face d’événemens si graves, qu’il avait voulu seulement, par une absence d’une dizaine de jours, faire éclater les sympathies publiques en sa faveur et imprimer à ce cabinet un peu somnolent une secousse salutaire.

Ce qu’il y a de certain, c’est que la secousse fut très vive. Dans l’état d’exaspération où était le pays, imaginez tout ce qui a pu être imprimé durant ces dix jours, vous serez certainement au-dessous de la vérité. On mêlait à cela, bon gré, mal gré, le désastre de Sinope. Cet homme qui pendant plus de dix années avait conduit avec tant d’énergie les affaires étrangères, qui avait bravé l’Europe pour maintenir l’honneur anglais, pourquoi l’avait-on relégué au ministère de l’intérieur ? La flotte turque n’eût pas été détruite ou bien elle eût été immédiatement vengée, si Palmerston eût dirigé le foreign office. Même dans le poste où étouffait son génie, il était encore l’âme du ministère, il était le seul ministre ; que se passait-il donc en ce conseil, puisqu’il se trouvait obligé d’en sortir ? Quelle influence occulte s’acharnait contre lui ? On se rappelait alors le mémorandum de la reine en août 1850, le renvoi de Palmerston en décembre 1851. La persistance de ces querelles intestines, que l’on croyait terminées, indiquait la persistance d’un élément hostile. On ajoutait que le coupable n’était pas difficile à deviner. C’était l’homme qui, par sa naissance, par ses liens de famille, par ses engagemens avec les cours germaniques, avait un intérêt opposé à l’intérêt de l’Angleterre dans les affaires d’Orient, c’était l’étranger qui ménageait la Russie pour complaire à l’Allemagne. Voilà comment le désastre de Sinope et la démission de lord Palmerston, au mois de décembre 1853, furent l’occasion d’un déchaînement inouï contre le prince Albert.

Quand les Mémoires de Stockmar furent mis au jour, on put y lire à ce sujet des détails qui parurent vraiment incroyables, bien que le baron eût pris soin de les atténuer en montrant surtout ce qu’ils avaient de ridicule. Les lettres du prince Albert publiées par