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franche expression d’une opinion honnête, qu’elle soit vraie ou fausse, peu importe, ne saurait être regardée comme une offense. » Palmerston ne pouvant servir sous John Russell, ni John Russell sous Palmerston, personne ne convenait mieux aux fonctions de premier ministre que le noble Aberdeen, le chef vénéré du parti libéral conservateur. C’est lui, en effet, qui forma ce grand cabinet du 28 décembre 1852, où le comte de Granville était président du conseil, où lord Palmerston siégeait à côté de lord Russell, où le marquis de Lansdowne et le duc d’Argyll rencontraient le comte de Clarendon et le duc de Newcastle, où M. Gladstone et M. Sidney Herbert étaient associés à sir Charles Wood, à sir James Graham, à sir William Molesworth. Lord Palmerston avait accepté le ministère de l’intérieur, laissant au comte de Clarendon la direction du foreign office. M. Gladstone était chancelier de l’échiquier. Le marquis de Lansdowne et lord John Russell étaient ministres sans portefeuille. Il y avait longtemps que l’Angleterre n’avait vu dans les conseils du gouvernement une telle réunion de noms illustres.

Eh bien ! transportez-vous maintenant une année plus tard. Nous voici aux premiers jours du mois de décembre 1853. La guerre de Crimée a commencé depuis plus de deux mois. Cependant les négociations continuent entre les puissances occidentales et la Russie ; tant qu’elles dureront, le gouvernement russe a promis à la France et à l’Angleterre de ne pas entreprendre d’opération agressive contre la Turquie. Or on apprend tout à coup que le 30 novembre, par une journée brumeuse, l’amiral russe Nachimof, sorti de Sébastopol avec six vaisseaux de ligne, a surpris une division de la flotte turque à l’ancre de Sinope, sur la côte asiatique de la Mer-Noire, et l’a détruite en quelques heures. L’irritation causée en Angleterre par ce manque de foi allait s’accroissant de jour en jour, quand le bruit se répandit le 16 décembre que lord Palmerston avait envoyé sa démission à lord Aberdeen. Y avait-il un lien entre ces deux événemens ? C’est un point qui n’a jamais été éclairci. Les lettres mêmes de Palmerston, publiées récemment par son biographe, M. Evelyn Ashley, ne jettent pas un jour franc sur la question. Tantôt Palmerston y parle d’un dissentiment avec lord John Russell à propos d’un bill de réforme parlementaire auquel celui-ci tenait beaucoup. Il y voyait, lui, de graves inconvéniens, il avait de nombreuses objections à faire, il les avait soumises à lord John Russell, à lord Aberdeen, à tout le conseil, et, aucun de ses collègues n’en ayant tenu compte, il avait dû se retirer. Tantôt il signale à mots couverts les divergences d’opinion qui avaient éclaté dans le cabinet au sujet des affaires d’Orient. Était-ce la question, bien secondaire alors, d’un bill de réforme qui avait décidé sa retraite ? Était-ce la nouvelle du désastre de Sinope et les reproches de négligence