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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/649

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Le prince avait eu tort de croire que la rentrée de lord Palmerston au ministère allait apaiser toutes les fureurs. Il est vrai qu’un journal avait changé de ton, celui-là même qui avait commencé l’attaque dix jours plus tôt, celui qui le 16 décembre 1853 avait renouvelé contre le prince les imputations calomnieuses de 1851 (et, pour le remarquer en passant, ce fait seul indique assez clairement d’où partaient les coups) ; il est vrai, dis-je, que le journal placé sous l’inspiration personnelle de lord Palmerston tenait un tout autre langage depuis que son patron était rentré aux affaires, mais l’impulsion donnée se propageait de place en place. Les plus sottes calomnies, les rumeurs les plus niaises s’étaient répandues dans tous les quartiers de Londres et de là dans tous les comtés du royaume. Au pays de Galles, en Écosse, en Irlande, d’un bout à l’autre de la monarchie d’Angleterre, il ne fut question bientôt que de la grande trahison du mari de la reine. C’est encore à Stockmar que le prince Albert confie ses plaintes si dignement exprimées. La lettre suivante est du 7 janvier 1854 :


« Cher Stockmar, physiquement, nous sommes tous bien, sauf un catarrhe en ce qui me concerne. Moralement, dans cette nouvelle année comme dans la précédente, nous avons tout un monde de tourmens.

« Les attaques dirigées contre moi continuent avec une violence qui ne s’interrompt pas. Il y a seulement une différence, c’est que la presse radicale y a renoncé, tandis que les journaux protectionistes rivalisent entre eux à qui les poursuivra avec le plus d’impudens mensonges et de véhémence. Il n’y a sorte de trahison envers le pays dont je ne sois coupable. Il faut supporter tout cela tranquillement jusqu’à la réunion du parlement au 31 de ce mois ; Aberdeen et John Russell sout prêts à y prendre ma défense.

« La question d’Orient ne fait pas de progrès en mieux, la guerre devient de jour en jour plus probable.

« Le ministère s’est mis d’accord sur les mesures de réforme, et Palmerston a accepté le bill tout entier ! Louis-Napoléon et lui sont maintenant les idoles du public, « les favoris du Derby. »


Quelques jours après, le 11 janvier, dans une nouvelle lettre à son confident de Cobourg, le prince Albert ajoutait :


« Je veux vous écrire un mot seulement, au sujet des attaques incessantes dirigées contre moi dans la presse et qui atteignent réellement à un degré qu’on ne saurait croire. Je le fais, non dans un esprit de doléance mesquine sur des choses que je suis parfaitement capable de supporter avec calme, fort comme je le suis de ma bonne conscience, — mais uniquement pour vous tenir au courant.