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Windsor-Castle, 2 février 1854.

« Victoria vous a envoyé, je le sais, un journal contenant les débats sur ma mise en accusation. Vous serez satisfait, j’en suis certain, du ton de ces débats, et vous trouverez vos propres vues, telles que votre lettre les développe, complètement reproduites dans les explications constitutionnelles données par lord Aberdeen et par lord John. L’impression a été excellente ; ma situation et mon rôle politique, qui n’étaient admis jusqu’à présent que d’une manière tacite, ont été établis en plein parlement et revendiqués très haut sans qu’une voix dissidente se soit élevée. Le jugement de lord Campbell comme président de la cour des plaids communs est ici d’une grande importance. Je vous envoie sous ce pli un article du Daily News, qui n’est que médiocrement satisfait ; il paraît sentir le surcroît de force que cette discussion va donner à la couronne. Depuis ce moment-là, naturellement, je continue d’être pour ce journal « un objet de crainte et de défiance. » Le Herald, à titre de journal tory, déplore que le ministère ait porté devant le parlement des circonstances qui, participant au caractère sacré de la vie privée, n’appartenant d’ailleurs qu’à un simple individu, sont placées par la constitution en dehors de toute discussion et « n’auraient pas même dû être mentionnées. » Ce ne serait pas mal du tout, si ce journal, pendant six semaines consécutives, n’avait calomnié, outragé, sans repos ni trêve, et cet individu et cette vie privée dont il parle. »


On devine aisément par ces deux lettres ce qui s’était passé le 31 janvier 1854 à la chambre des communes ainsi qu’à la chambre des lords. Le ministère avait hardiment engagé la question, impatient de prendre l’accusation corps à corps, si elle osait se produire, ou bien, si les adversaires se bornaient à des insinuations équivoques, résolu à les démasquer et à détruire le mal dans sa racine. Le sentiment unanime des chambres justifia son audace. L’opposition se joignit au ministère pour rendre un éclatant hommage aux mérites, à la loyauté, au dévouement, au patriotisme anglais du mari de la reine. Lord Derby à la chambre haute et M. Walpole à la chambre des communes tinrent à honneur de soutenir cette cause aussi chaleureusement que lord Aberdeen et lord John Russell. Lord Derby s’exprima de la façon la plus vive sur la crédulité du public, et attribua les bruits qui avaient couru « aux absurdes attaques de la presse radicale. » Les défenseurs de cette presse se bornèrent à dire que la presse conservatrice avait aussi sa part de responsabilité. Les deux partis plus ou moins associés naguère, hauts tories et radicaux, se renvoyaient le reproche, tant le délit commun leur apparaissait enfin sous un aspect monstrueux et risible.