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considérable; s’il l’était trop en hausse, la concurrence viendrait qui remettrait bien vite les prix à un niveau plus équitable, et si c’était en baisse, l’industrie s’arrêterait, la marchandise ferait défaut, et il faudrait bien, pour l’obtenir, la payer le prix qu’elle doit avoir. Cela est encore plus vrai pour les salaires. En définitive, l’ouvrier doit en vivre, et en vivre d’une façon conforme aux progrès de la civilisation, au développement du bien-être général, d’autant plus que c’est lui qui contribue à créer ce bien-être par son travail. Supposez un moment une situation où l’ouvrier ne peut plus vivre de son salaire, où il lui est impossible d’acheter les produits qui s’étalent sur les marchés et font la richesse du pays ; comme c’est lui qui est le plus grand des consommateurs, parce qu’il est le plus nombreux, alors ces produits n’ont presque plus d’acheteurs, ils cessent d’exister en aussi forte quantité, et le progrès de la richesse se ralentit. Dire que l’ouvrier doit vivre de son salaire d’une façon conforme aux progrès de la civilisation et au développement du bien-être général, c’est affirmer la plus incontestable des vérités.

Du reste la preuve en est fournie par toutes les statistiques. Depuis trente ou quarante ans environ, le prix des choses les plus nécessaires à la vie en fait de denrées alimentaires surtout paraît avoir augmenté en moyenne de 30 à 40 pour 100. Eh bien, pendant la même période, les salaires se sont accrus de 50 à 60 pour 100. C’est un fait certain. On peut en induire que les ouvriers comme les autres ont mis à la charge des consommateurs ce qu’ils ont eu à payer en plus pour leur existence, et qu’ils ont encore trouvé le moyen de rendre cette existence meilleure. Y aurait-il eu une exception pour l’impôt? « De quelque façon que vous vous y preniez, a dit M. Thiers dans son livre sur la Propriété, l’impôt retombera toujours sur le consommateur. » Et quel sera ce consommateur définitif? Le revenu brut sur lequel nous vivons tous. Prétendre que l’impôt qui frappe les objets de première nécessité reste à la charge de l’ouvrier pour le chiffre que celui-ci a payé d’abord, c’est méconnaître les lois de la répercussion, et de la solidarité qui existe entre tous les citoyens au point de vue économique. Cette répercussion de l’impôt est tellement fatale qu’elle a lieu là même où on l’attend le moins. Vous dégrevez par exemple de tout impôt mobilier les logemens au-dessous d’un certain prix, vous croyez agir au profit de ceux qui sont destinés à les habiter, vous avez compté sans la loi de la répercussion; ces logemens seront d’autant plus recherchés qu’ils seront exempts d’impôt, ils s’élèveront de prix, et on paiera 400 francs ce qu’on n’aurait peut-être payé que 350 ou 375 s’il n’y avait pas eu franchise d’impôt; par conséquent vous aurez travaillé en faveur du propriétaire et non du locataire. Autre exemple : vous imposez plus ou moins arbitrairement à 11 et 12 pour 100 les