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qu’un voyage rétrospectif à travers les ateliers d’autrefois. Aucune autre école ne répondait aussi bien à ce dessein difficile. Il y a trop de choses dans la peinture italienne pour retenir longtemps l’esprit sur la peinture même, histoire, théologie, philosophie l’arrachent bien vite à ces préoccupations de la technique de l’art qui paraissent presque insignifiantes en face des résultats obtenus par son moyen: tout, au contraire, dans la peinture hollandaise nous conduit à l’atelier même et nous y laisse. Dans un des meilleurs chapitres de son livre, Fromentin a excellemment insisté sur la nullité du sujet dans les tableaux hollandais, et en effet on peut dire en toute vérité des Hollandais pour la peinture ce que l’on dit des Italiens pour le drame lyrique. Peu importe aux Italiens l’absurdité ou l’obscurité du libretto sur lequel le musicien s’est exercé, l’essentiel c’est la musique; peu importe aux Hollandais l’insignifiance ou la bassesse de leurs sujets, l’essentiel c’est que ces choses basses ou insignifiantes soient peintes aussi parfaitement que les plus importantes ou les plus nobles. Jamais la doctrine de l’art pour l’art, si débattue jadis et si mal résolue chez nous, n’a reçu une application plus complète que par la peinture hollandaise.

Nous ne pouvons, on le comprend, entrer dans une analyse détaillée de ce livre qui, sans prétendre à être une histoire méthodique de la peinture dans les Pays-Bas, en embrasse cependant sous sa forme libre tous les développemens depuis Jean Van Eyck jusqu’à Rembrandt, car chaque chapitre exigerait une étendue presque égale à celle de l’étude qui nous occupe à cette heure; d’ailleurs ce n’est pas de Rubens et de Van Dyck, de Ruysdaël et de Rembrandt que nous avons à parler, c’est d’Eugène Fromentin, et nous devons nous borner pour les Maîtres d’autrefois aux observations qui se rapportent à notre tâche étroitement circonscrite et qui ne risquent pas de nous en faire sortir.

Ce qui donne à ce très beau livre une valeur exceptionnelle, c’est qu’on y sent à chaque ligne que l’auteur a pour juger pleine et entière autorité, et que par suite nous goûtons en toute sécurité avec lui ce plaisir de se confier que permettent si rarement les livres de critique, surtout de critique d’art. Nous n’avons pas à redouter ici les légèretés dédaigneuses d’une esthétique pédantesque, ni à nous tenir en garde contre le savoir nécessairement incomplet, étant sans pratique, de l’homme du monde et de l’amateur. C’est un homme du métier qui prononce, et par cela seul notre adhésion est conquise à ses arrêts. La tâche lui est rendue facile par son titre d’artiste éminent; ce qui paraîtrait audace intolérable chez un juge simple homme de lettres, outrecuidance vaniteuse chez un juge simple homme du monde, lui est chose permise; il a tout droit pour réviser les jugemens consacrés, pour porter la main sur les idoles