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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/701

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germe; bonne ou mauvaise, il est bien difficile d’empêcher l’herbe de pousser. Berlin est assurément fort tranquille; on n’est plus en guerre ouverte les uns avec les autres, le temps des conflits est passé; mais les rapports sont tendus et instables, la situation est fausse, même un peu trouble, et il y a de l’aigre dans l’air. La chambre des députés possède au moins un droit incontestable, celui de voter les impôts nouveaux et d’ouvrir de nouveaux crédits. Or le gouvernement prussien, qui est devenu dépensier, se voit souvent obligé de recourir à la générosité du Landtag. Le Landtag profite toujours de cette occasion pour exposer derechef ses doléances et pour engager le gouvernement à se mettre en règle avec lui, à quoi le gouvernement répond sur un ton plus ou moins gracieux et en enveloppant plus ou moins sa pensée : — Quand donc renoncerez-vous à votre chimère? Nous ne vous permettrons jamais d’être des faiseurs et des défaiseurs de cabinets; vous ne devez pas même chercher à savoir qui les fait ou les défait, ni raisonner sur les accidens qui peuvent leur survenir; ce sont là des questions intimes et réservées, lesquelles ne vous concernent point. Persuadez-vous une fois pour toutes qu’un député qui aspire à un portefeuille convoite le fruit défendu, qu’un député qui demande pourquoi tel ministre a été congédié commet un gros péché d’indiscrétion. Imitez les enfans sages qu’on amuse en leur montrant la lanterne magique; ils se tiennent tranquillement à leur place, admirent le spectacle et n’ont garde de rien demander. Le premier de vos devoirs est de vous défendre contre toutes les convoitises déplacées, contre toutes les curiosités indiscrètes, et de respecter les mystères de la constitution.

Quelque disposé que soit le Landtag à s’abstenir du fruit défendu, à réprimer ses convoitises, à faire de grands sacrifices à la bonne entente entre les pouvoirs, il faut avouer que sa résignation et sa patience sont soumises parfois à de dures épreuves. S’il est du devoir d’un député prussien de n’être pas trop curieux et de ne jamais hasarder un regard indiscret dans la chambre obscure où se font et se défont les ministères, encore peut-il lui sembler nécessaire de savoir de science certaine qui est ministre et qui ne l’est pas. Il n’en est pas moins vrai qu’au mois de juin de l’an dernier les députés ne savaient que vaguement et par ouï-dire qui était ministre, qui ne l’était pas et qui ne l’était plus. On était porté à admettre que l’honorable M. Friedenthal avait obtenu le portefeuille de l’agriculture; M. Friedenthal lui-même paraissait en être certain, et il pouvait fonder sa conviction sur un avis paru dans le Reichsanzeiger, mais aucune notification officielle n’avait été faite à la chambre, On soupçonnait encore que l’éminent M. Delbrück, qui était entré dans le cabinet assez inopinément pour y représenter M. de Bismarck dans les affaires communes à la Prusse et à l’empire germanique, venait d’en sortir non moins brusquement, on le croyait du moins, on n’en était pas sûr. On avait enfin des raisons de penser que le chef de l’amirauté,