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Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond.
Dis, ne voudrais-tu point voir une étoile au fond,
Ou qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse,
S’élevant tout à coup, chantât ? ....
.... Un oiseau qui chanterait aux champs !
Un rossignol perdu dans l’ombre et dans la mousse,
Ou quelque flûte au loin !.. Car la musique est douce.
Fait l’âme harmonieuse et, comme un divin chœur.
Éveille mille voix qui chantent dans le cœur !

Ce duo de la fin a une mélodie et une tendresse adorables. Il rappelle la rêverie charmante qui termine le drame du Marchand de Venise, et où Shakspeare transporte doucement ses spectateurs pour les reposer des scènes poignantes où Shylock réclame à grands cris la livre de chair vivante qu’il doit tailler sur la poitrine d’Antonio. C’est la même nuit azurée, la même sérénité et le même motif : — « Comme le clair de lune sommeille mollement sur ce gazon ! Allons nous y asseoir, et laissons les accords de la musique caresser nos oreilles ; le silence et la nuit vont bien avec la douceur des notes harmonieuses. Assieds-toi, Jessica ; regarde comme le pavé du ciel est semé d’un sable d’or étincelant. il n’est pas une de ces étoiles que tu vois poudroyer là-haut, qui ne chante comme un ange en décrivant sa course… Il y a une musique infinie dans ces sphères immortelles ; mais la grossière et périssable enveloppe dont nous sommes vêtus nous empêche de l’entendre… »

Shakspeare ! — Ç’a été l’ambition secrète et persistante de Victor Hugo de donner à la France de 1830 un théâtre qui fût l’équivalent de celui de Shakspeare au XVIe siècle. Cette préoccupation perce dans maint endroit de ses préfaces. « Le but du poète dramatique, écrivait-il en 1833, doit toujours être avant tout de chercher le grand comme Corneille ou le vrai comme Molière ; ou mieux encore, et c’est ici le plus haut sommet où puisse monter le génie, d’atteindre tout à la fois le grand et le vrai, le grand dans le vrai, le vrai dans le grand, comme Shakspeare. » (Préface de Marie Tudor.) Il proteste, à la vérité, qu’il n’a pas la présomption de devenir le Shakspeare du théâtre contemporain, mais c’est surtout des choses qu’on souhaite tout bas qu’on se défend avec le plus d’énergie ; les poètes sont un peu comme les femmes qui ne font jamais de plus belles résistances que lorsqu’elles ont le désir de succomber.

Ce but que Victor Hugo se proposait en créant le drame romantique, a-t-il été atteint ? Le poète s’en est-il du moins rapproché ? Aujourd’hui que l’expérience est faite et que les querelles d’école sont apaisées, il semble que, sans manquer de respect au grand lyrique, on peut, au sortir de cette reprise d’Hernani, répondre franchement : — Non ; le drame romantique a pu nous donner un moment l’illusion du drame