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Chante-moi quelque chant comme parfois le soir
Tu m’en chantais avec des pleurs dans ton œil noir.
…………..
Parle-moi, ravis-moi! N’est-ce pas qu’il est doux
D’aimer et de savoir qu’on vous aime à genoux ?
D’être deux, d’être seuls ? et que c’est douce chose
De se parler d’amour, la nuit, quand tout repose…


Tantôt il nous murmure l’élégie de la vieillesse qui regrette ses vingt ans, et qui donnerait volontiers ses châteaux, ses titres, ses aïeux, pour la rustique et fière beauté d’un jeune pâtre qui passe. Le vieux Ruy Gomez soupire lentement et tristement sa plainte amoureuse à doña Sol distraite :

Voilà comme je t’aime, et puis je t’aime encore
De cent autres façons : comme on aime l’aurore,
Comme on aime les fleurs, comme on aime les cieux !
De te voir tous les jours, toi, ton pas gracieux,
Ton front pur, le beau feu de ta fière prunelle,
Je ris et j’ai dans l’âme une fête éternelle…

Puis le ton change ; à côté de ces soupirs et de ces tendresses retentit comme une fanfare altière la grande tirade des portraits d’aïeux ; on dirait un splendide fragment d’épopée :

Christoval ! —Au combat d’Escalona, don Sanche,
Le roi, fuyait à pied, et sur sa plume blanche
Tous les coups s’acharnaient ; il cria : « Christoval ! »
Christoval prit la plume et donna son cheval…


Ou bien le poète oublie tout à coup son action boiteuse, ses héros invraisemblables ; il s’envole sur sa chimère, et nous avons le monologue de Carlos au tombeau de Charlemagne. — M. Worms, dans l’interprétation de ce morceau, a révélé toute la souplesse et l’ampleur de son talent chaud, sobre et contenu ; avec sa diction nette, savante, incisive, il a mis en relief et en valeur les moindres détails de ce magnifique hors-d’œuvre qu’on peut comparer pour le mouvement, la féerie des images, l’éclat des couleurs, le lointain des perspectives, à cette autre fantaisie merveilleuse qui se trouve dans les Feuilles d’automne et qui s’appelle la Pente de la rêverie.

Enfin, et comme pour nous guérir de la sensation de vertige qu’il nous a donnée en nous enlevant à de si fantastiques hauteurs, l’enchanteur redescend vers la terre, mais il ne fait qu’effleurer de l’aile la cime des arbres endormis, et nous voilà en plein songe d’une nuit d’été, assistant à ce mélodieux nocturne du dernier acte :