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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/730

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versité. En effet, dans la suite, ses ennemis l’ont appelé ingenio lego, auteur laïc, ce qui voulait dire alors : formé ailleurs que dans les grandes écoles publiques. Il est évident qu’il avait appris un peu de latin, bien qu’il se trompe parfois dans ses citations, attribuant à Virgile ce qui appartient à Horace, et vice versa. Quant au grec, on peut juger de sa science par ce passage : « Sais-tu ce que veut dire philosophie ? Ce mot se compose de deux substantifs grecs, qui sont philos et sophia. Philos veut dire amour, et sophia, science. » On objectera peut-être que c’est un chien que Cervantes fait parler de la sorte, mais il nous avertit que ce chien avait été au collège.

Il dit, dans un de ses prologues, que, tout enfant, il avait un goût passionné pour la lecture, et que, faute de livres, il ramassait avec soin dans la rue des morceaux de papier imprimé. Sa mémoire était excellente, et, dans un âge avancé, il récitait des tirades de vers qu’il avait retenues pour les avoir entendues, dans son enfance, de la bouche même du Thespis espagnol, Lope de Rueda.

S’il n’avait pas étudié dans un collège, il avait suivi cependant un cours d’humanités. En 1568, à l’occasion de la mort de la reine Isabelle de Valois, femme de Philippe II, un ecclésiastique nommé Juan Lopez de Hoyos, professeur de latinité et de lettres humaines à Madrid, publia un livre fort long et fort ennuyeux, sous ce titre : Histoire et relation véritable de la maladie et heureux passage à un monde meilleur, somptueuses obsèques de la sérénissime reine d’Espagne, doña Isabel de Valois, notre dame, avec les sermons, inscriptions et épitaphes sur son tombeau, augmentée des coutumes et cérémonies diverses de plusieurs peuples pour enterrer leurs morts, comme il appert par la table dudit volume. Madrid, 1568, in-8o. La façade peut donner une idée du bâtiment. Probablement, pour allonger son livre et le rendre digne de son titre, le docte professeur a cru devoir y insérer des vers de ses élèves, et une longue élégie, un sonnet et une épitaphe en redondilles sont dus à la plume de don Miguel de Cervantes, « son disciple bien-aimé. » Bien entendu que le maître trouve ces pièces excellentes. Avant de les juger, remarquons que Juan Lopez de Hoyos n’obtint sa chaire à Madrid qu’en 1568, et qu’il n’a jamais appartenu à l’université d’Alcalà de Henares, ville où Cervantes paraît avoir passé ses premières années. Il faut donc qu’à l’âge de vingt ans le futur auteur de Don Quichotte ait eu le courage de se faire écolier. Nous nous bornerons à traduire l’épitaphe, qui suffit amplement à donner une idée des autres pièces.

« Ci-gît la gloire de la terre espagnole, ci-gît la fleur de la nation française, ci-gît qui sut accorder le différend en couronnant d’olivier cette guerre. Ici, en petit espace, est enclos notre astre d’Occi-