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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

puyer. Il faut en dire autant d’une autre légende qui veut qu’à son apparition le Don Quichotte ait été d’abord mal accueilli par le public. L’imprimeur se désolait, lorsque Cervantes imagina de publier une petite brochure sous le titre de : el Buscapié (le serpenteau, la fusée), où il insinua que le Don Quichotte contenait une foule de choses intéressantes et mystérieuses qui méritaient une étude approfondie. Badauds d’acheter le Don Quichotte et d’y chercher ce qui n’y était pas. C’est ainsi qu’une petite brochure aurait fait la fortune d’un grand ouvrage. Mais qui a vu le Buscapié ? Pellicer, auteur grave et expert en toutes recherches biographiques, a le premier émis le soupçon qu’il n’avait jamais existé. Don Vicente de los Rios, de l’Académie espagnole, affirme qu’un de ses amis, don Antonio Ruy Diaz, l’aurait vu, en 1775, dans la bibliothèque du comte de Saceda, mais depuis personne n’a eu la même fortune. Le Buscapié n’a pas reparu, et les catalogues du comte de Saceda, qui avait la réputation d’aimer les livres et de se connaître en raretés, n’en font pas mention. En 1847, la brochure introuvable a été réimprimée, c’est-à-dire qu’un pastiche assez adroitement fait du style de Cervantes a été publié comme original par un littérateur fort spirituel, don Alphonso de Castro. Il a fait quelques dupes. En voilà assez sur une anecdote si peu importante. Le Buscapié est un de ces ouvrages que les bibliophiles ne trouveront pas plus que ceux que Pantagruel examina dans la bibliothèque de Saint-Victor. Ajoutons que le public n’avait pas besoin d’être stimulé à lire le Don Quichotte. Imprimée au commencement de 1605, la première édition était enlevée en quelques semaines ; quatre autres éditions paraissaient la même année, on en faisait des traductions, et le nom de l’auteur devenait célèbre dans toute l’Europe. On rapporte que Philippe III, étant à un balcon de son palais de Madrid, qui domine la vallée du Manzanarez, aperçut un étudiant qui lisait au bord de la rivière, riait, se frappait le front et donnait les signes d’un plaisir extraordinaire. « Ce garçon est fou, dit le roi, ou bien il lit Don Quichotte. » Un courtisan s’empressa d’aller demander le titre de ce livre si amusant : c’était en effet le Don Quichotte.

Un pareil ouvrage enrichirait aujourd’hui un homme de lettres ; il ne paraît pas que la fortune de Cervantes se soit accrue en proportion de sa renommée, car nous le trouvons à la même époque acceptant un travail officiel des plus ingrats, qui probablement lui avait été procuré comme une bonne aubaine par un de ses protecteurs. C’est la relation des fêtes célébrées à Valladolid en 1605 pour la naissance du prince qui fut plus tard Philippe IV ; elles coïncidèrent avec l’entrée d’un ambassadeur anglais. L’épigramme suivante de Gongora ne permet pas de douter que Cervantes ne soit l’auteur de cette relation, qui d’ailleurs ne se distingue en rien des factums