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ignoré aujourd’hui, on lui avait donné le sobriquet de Sancho Pança, dont il se tenait pour offensé. C’était un esprit envieux et méchant, détracteur de toutes les renommées. Il a fait un ouvrage satirique contre Quevedo. À l’avénement de Philippe IV, le confesseur du feu roi fut aussitôt exilé à la joie générale, et le brillant et malheureux comte de Villamediana s’en rendit l’interprète dans un dizain qui eut alors un grand succès.

« Sancho Pança, le confesseur du défunt monarque, jadis habile à faire des saignées au coffre-fort d’Osuna, part pour Huete, transpercé du couteau de douleur. On fait enquête sur l’inquisiteur ; le confesseur va confesser. »

Aliaga en espagnol signifie ajonc ; on croit trouver une épigramme contre le confesseur royal dans un passage où Cervantes raconte l’entrée de don Quichotte à Barcelone. Quelques polissons, se glissant au milieu de la foule, vont attacher une poignée d’ajoncs sous la queue de Rossinante et celle de l’âne, son fidèle compagnon. Ajoutez encore la réserve singulière avec laquelle Cervantes fait parfois allusion à son imitateur, personnage alors trop puissant pour qu’on pût le traiter selon ses mérites.

Nous avouerons franchement que les présomptions que nous venons d’exposer nous paraissent peu concluantes. Les fautes de style, les locutions provinciales ne fournissent pas une preuve, car il y a d’autres auteurs aragonais que le père Aliaga. Si cet homme eût voulu nuire à Cervantes, il est probable qu’il aurait trouvé des moyens plus sûrs et plus expéditifs qu’une sorte de concours où l’avantage ne devait pas être de son côté. Enfin il est bien extraordinaire qu’après la disgrâce d’Aliaga, lorsque la renommée de Cervantes avait grandi au point de rendre ridicule et presque criminelle la tentation d’imiter son plus bel ouvrage, il ne se soit trouvé personne pour reprocher à l’ ex-confesseur du roi d’avoir outragé un grand homme.

Quel qu’en soit le véritable auteur, la continuation qui porte le nom d’Avellaneda, imprimée à Tarragone en 1614, n’eut aucun succès, et elle n’a été réimprimée qu’en 1732, seulement en qualité de livre devenu rare. Elle a eu cependant l’honneur d’être traduite en français par Lesage, qui l’a abrégée, modifiée et rendue lisible.

Il ne faudrait pas croire que cette misérable composition nous ait valu la seconde partie du véritable Don Quichotte, et que le dépit ait réveillé le génie sommeillant de Cervantes : elle parut un peu moins d’un an après la continuation d’Avellaneda, et on ne peut supposer que Cervantes, dont la santé était fort altérée et qui avait sur le chantier un autre ouvrage considérable, ait pu en si peu de temps composer cette seconde partie, plus longue que la première. Il avait alors soixante-huit ans et souffrait cruellement