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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/777

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CLARISSE.

douleurs de l’absence pour ne songer qu’à la gloire qu’il venait d’ajouter à son nom. Elle n’ignorait pas que les sociétés savantes de l’Europe attendaient avec impatience les communications du voyageur. Elle savourait par avance les louanges méritées par le noble enfant que ses entrailles étaient fières d’avoir porté. La soirée s’écoula, les heures passèrent dans cette intimité tendre et réparatrice ; puis, à ti-avers les persiennes closes, derrière les vitres, de claires lueurs d’aurore annoncèrent le jour. Dans le jardin del’iiôtel, un chant d’oiseau éclata, mélodieux.

— Je vous ai fait veiller, chère mère, dit Adrien.

— 11 y a longtemps que cela ne m’était arrivé, répondit la baronne ; néanmoins je ne ressens aucune fatigue. Mais toi-même, mon enfant, tu as besoin de repos, et je m’en veux de l’avoir retenu.

Adrien se leva en souriant, embrassa sa mère, et, au lieu de s’éloigner, demeurant debout devant elle, il reprit :

— Pour vous plaire, j’ai beaucoup parlé de moi, et vous ne m’avez guère parlé de vous. J’espère que vous me dédommagerez.

— Oh ! ma vie s’est écoulée paisible et triste ; je te l’aurai bientôt racontée ; elle ne contient aucun incident qui mérite un souvenir.

— Ma mère, vous oubliez la mort de mon cousin de Neyrolles, objecta Adrien d’un ton de reproche.

— C’est vrai, je l’oubliais, répondit froidement la baronne, dont le visage prit une expression dédaigneuse et grave ; ce malheureux est mort peu de mois après ton départ. Ne te l’ai-je pas annoncé ?

— Il n’en est pas question dans votre correspondance, et je n’en saurais rien, si Mme de Neyrolles ne m’avait appris ses malheurs.

— Elle a osé t’écrire !

— J’ai trouvé au Caire trois lettres d’elle parmi celles que vous m’aviez renvoyées.

— Que disaient-elles, ces lettres ?

— La première, datée du jour même de la mort de Gaston, m’annonçait ce douloureux événement ; la seconde me faisait connaître qu’insensible aux infortunes de la malheureuse veuve, vous aviez refusé non-seulement de vous intéresser à elle, mais même de la recevoir, et que, pour suffire à ses besoins et assurer une petite fortune à sa fille, elle était couirainie de rentrer au théâtre ; enfin dans sa troisième lettre, envoyée il y a un mois à peine, ma cousine m’apprend qu’atteinte d’une maladie de poitrine, elle craint de mourir et confie sa fille à ma sollicitude, l’accueil que vous lui fîtes jadis ne lui permettant pas d’espérer que vous consentiriez à venir en aide à cette enfant.

La baronne avait écouté Adrien silencieuse et les yeux baissés. Quand il s’arrêta, elle leva la tête et dit simplement :