Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/845

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant même de pouvoir examiner séparément chaque œuvre, c’est déjà une fête pour les yeux. À mesure qu’on pénètre dans le détail, l’étonnement augmente pour cet art prodigieux, si libre et si expansif, pour cette plénitude de vie et cette richesse d’imagination. Rubens ne compte pas moins de quatre-vingt-quinze ouvrages à la Pinacothèque ; pas un n’est insignifiant, et beaucoup sont des chefs-d’œuvre. Cette abondance de créations dénote les aptitudes multiples et l’incomparable fécondité de son génie. Il a traité tous les sujets, il a mis en scène tous les âges et toutes les conditions ; la gamme des sentimens humains, il l’a parcourue tout entière. Le nom de Shakspeare vient involontairement à l’esprit quand on voit la profusion d’idées qu’il a exprimées, la variété de ses types et de ses inventions, les actions si complexes où se jouent es passions et les personnages les plus divers. Il a les plus nobles commerces et il hante les compagnies les plus infimes ; partout il est chez lui, il est maître. À ses figures de reines ou de grandes dames, d’une si élégante prestance et d’une si naturelle distinction, il oppose ce que les ébats populaires ou les gaillardises rustiques ont de plus risqué. La Bible, l’Evangile, la mythologie, l’histoire, l’allégorie, le portrait, le paysage, les animaux, tout le séduit tour à tour et attire ses pinceaux. Il oblige à recourir aux classifications pour grouper ses œuvres, et il les épuise toutes. Il se repose d’un travail par un autre, et dans ses occupations diverses, dont chacune suffirait à l’activité de bien des vies, il semble se renouveler incessamment. À tout ce qu’il fait, il met sa marque et comme le sceau de son puissant et lumineux génie. Et si, comme peintre, il n’a ni la simplicité sublime ni le goût épuré, ni la noblesse constante et la profondeur des grands Italiens, ce n’est pas à Munich qu’on oserait penser à ce qui lui manque et qu’on songerait à faire contre lui ses réserves.

Anvers, il est vrai, a conservé dans ses églises et son musée les œuvres les plus importantes que les livres sacrés ont inspirées à Rubens, celles qui lui ont fourni ses créations les plus hautes. Et cependant, même dans cet ordre d’idées, combien ne trouvons-nous pas ici de sujets nouveaux et combien aussi d’acceptions nouvelles de sujets déjà traités ! Cette grande Nativité, il l’a peinte, croit-on, en collaboration avec son élève Jordaens, mais la couronne d’anges qui plane au sommet a une grâce qui nous révèle le maître et le maître seul. Il est bien de lui seul aussi, ce tableau d’une coloration si éclatante où il a réuni à côté du Christ quatre pécheurs repentans : le roi David, le bon larron, saint Pierre, le visage baigné de pleurs, et Madeleine, la belle pécheresse aux cheveux d’or. Voici, plus loin, la Rencontre d’Ésaü et de Jacob, composition