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cette compagnie? n’est-ce pas quelque magistrat qui poursuit une enquête? ou serait-ce simplement un seigneur surpris en route par le mauvais temps qui se sèche et se chauffe à ce foyer? L’esprit est intrigué et soupçonne vaguement quelque mystère entre ces personnages. Le sérieux de l’impression, l’harmonie générale, un peu triste, de ces noirs et de ces gris à peine nuancés, aussi bien que le caractère énigmatique de la scène, font penser à notre Lenain.

En revanche, le sujet n’est que trop clair dans un troisième tableau, et quel sujet! Laissons la parole au catalogue : « Un jeune garçon, assis dans une chambre, épouille son chien. « Il faut bien l’avouer pourtant, ce tableau est charmant de finesse, d’élégance au moins autant que de naturel. L’écolier, car c’en est un, vient d’abandonner encre et cahiers sur le bloc de bois grossièrement équarri qui lui sert de table. Il ne songe guère à ses devoirs; il est absorbé tout entier par son intéressante occupation. L’attitude de son corps et l’expression de sa jolie figure à demi penchée marquent assez avec quelle attention il s’est mis à cette besogne. Et le chien, comme il se laisse faire, pelotonné sur les genoux de son maître, le regard résigné et content tout à la fois; il souffre un peu, mais il sait que c’est pour son bien. Assurément tout cela est assez misérable, et cependant ces vêtemens gris, fatigués, un peu disjoints, ces chausses d’un bleu usé qui laissent entrevoir la chair, le visage, les mains, le bloc de bois, la chaise de paille, tout est si bien observé, dessiné avec une précision si naïve et si savante, peint dans une gamme si distinguée qu’il faut admirer ces petites choses et la façon exquise dont elles sont dites[1].

Steen aussi est un observateur ; moins fin que Terburg, il a des inventions plus variées, plus franchement comiques. Nous avons ici de lui un médecin tout de noir habillé qui tâte le pouls à une jeune femme en caraco rouge. Celle-ci tient à la main une lettre où le peintre, à côté de sa signature, a tracé en caractères minuscules quelque proverbe local ou quelque plaisante ordonnance qui nous renseignerait sur la situation de cette jolie malade. Elle semble un peu gênée de la persistance du regard que fixe sur elle le docteur, et un grand gaillard qu’on aperçoit par la porte entre-baillée, parlementant avec la servante, suffit peut-être à nous expliquer son embarras. Plus loin, notre peintre, à l’imitation d’Ostade, son maître, nous conduit au cabaret : une querelle de jeu s’est élevée, de proche en proche la bagarre est devenue générale et il faut voir comme tout ce monde se bat et se cogne d’importance.

  1. Une assez médiocre copie de ce charmant personnage se trouve à Amsterdam au musée Van der Hoop; elle est portée au catalogue comme un original.