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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/905

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moins de dix lieues carrées et dépassaient parfois cinquante. On se gardait bien de les défricher; des millions n’y auraient pas suffi. Le propriétaire y envoyait quelques milliers de vaches, une espèce de gérant et une demi-douzaine de gauchos, puis il n’y pensait plus. Les vaches, quand les indiens ne les volaient pas, lui rapportaient 25 pour 100; la terre, payable en dix annuités, avait doublé de valeur longtemps avant d’être payée. Les sauvages pouvaient enlever une fois ou deux les troupeaux et même leurs gardiens, pourvu qu’on eût de quoi les remplacer, la spéculation laissait encore de la marge : après plus ou moins de retards, elle finissait régulièrement par devenir excellente, — c’est de là que sont sorties toutes les grosses fortunes de la province; — seulement elle était à la portée du petit nombre. La nouvelle loi s’est inspirée de la législation nord-américaine, qui a pour but de diviser le soi en parcelles plus modestes : elle a fixé à 5,400 hectares la plus grande surface qu’il soit permis d’acheter à l’état, et le prix de l’hectare est d’autant plus réduit que le domaine est moins étendu; il est de 4 francs pour les lots inférieurs à 1,400 hectares, de 5 francs pour les lots qui contiennent de l,400 à 2,700 hectares, et de 6 francs depuis cette dernière contenance jusqu’à la limite maximum. Les paiemens se font un sixième au comptant, le reste en cinq annuités légales. Ce sont les progrès de l’agriculture et de l’élevage des petits troupeaux qu’on a eus en vue en édictant cette loi; elle aura un autre effet, c’est d’émanciper le gaucho et le colon de l’écrasante tutelle du grand propriétaire. En ce sens, elle est le point de départ d’une lente, mais décisive révolution sociale : aussi le ministre qui l’a rédigée, M. Rufino Varela, a-t-il eu du mal à la faire passer. Pour nous en tenir à la frontière, cette loi lui est très favorable. La grande propriété, si elle s’y installait, substituerait à des déserts parcourus par les chevreuils des déserts parcourus par des chevaux et des vaches, avec quelques huttes de boue de distance en distance. Cela ferait tout à fait l’affaire des Indiens. Ce serait de nouveau mettre à leur portée le butin que l’avancement de la ligne a eu pour objet de soustraire à leurs atteintes. Ce qu’on appelle dans la Plata la propriété moyenne, des Indiens d’une demi-lieue carrée affectés à l’élevage des brebis, offrirait déjà des conditions de sécurité plus satisfaisantes. Le but serait complètement atteint, si l’on parvenait à implanter si loin la petite propriété, des fermes de 500 hectares exploitées moitié en cultures, moitié en pâturages. Seulement pourra-t-on y parvenir?

On ne le pourra qu’à une condition, neutraliser par le bas prix des transports les fâcheux effets de la distance qui séparera le producteur de frontière des marchés de consommation. Il aurait sans doute un marché sous la main, la frontière même; mais c’est un