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antiphonaires, psautiers, poètes anciens, chroniques, romans de chevalerie. L’art des miniaturistes est à son apogée. C’est l’heure où Jehan Foucquet illustre le livre d’heures d’Estienne Chevallier, où Memling illustre le bréviaire du cardinal Grimani.

Mais déjà l’imprimerie est inventée ; pour cela, l’illustration ne périclitera pas. Les imagiers et les miniaturistes seront remplacés par les « tailleurs d’imaiges » et les « tailleurs d’hystoires. » Car en même temps que l’imprimerie, avant l’imprimerie même, la gravure en bois est découverte. Connue des Chinois, croit-on, plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, la gravure en bois était pratiquée dès les premières années du XVe siècle par les cartiers et les imagiers des Pays-Bas ; — on attribue la précieuse gravure du musée de Bruxelles à l’an 1418. Or si on estime, avec M. A. de Laborde, que « l’imprimerie n’est qu’un perfectionnement de l’impression de la gravure en relief, » on peut dire que c’est de la gravure en bois elle-même qu’est née l’imprimerie. N’est-il pas à peu près certain en effet que Laurent Coster, le premier xylographe, n’a taillé d’abord des lettres en bois que pour inscrire les légendes des gravures ? Cet essai ayant réussi, il publia vers 1442 un Speculum nostræ salutis, suite d’images avec texte, en caractères fixes, imprimées d’un seul côté, qui paraît être le premier livre xylographique connu. Ainsi le premier livre est un livre illustré. Ainsi, dès l’origine de l’imprimerie, la gravure et l’imprimerie font une étroite alliance, ou, à parler plus juste, font partie inhérente l’une de l’autre. Longtemps encore la typographie et l’illustration marcheront de concert, se prêtant mutuellement assistance. Après le Speculum nostræ salutis et les Figures de l’Ancien Testament, autre impression tabellaire de Laurent Coster, vinrent la Biblia pauperum, l’Ars moriendi et l’Ars memorandi, livres également ornés de figures. Le Donat xylographique (1450), la Bible de Gutenberg (1465) et le Psautier de Jean Faust n’ont pas de figures proprement dites, mais ils ont une des formes de l’illustration, des initiales ornées. On publie en même temps d’autres spécula, — miroirs, — car ces livres, grâce à leurs images, étaient ceux qui en ces temps d’ignorance s’adressaient à la plus grande masse de public. C’étaient naturellement les plus répandus. C’est pourquoi Gutenberg pouvait sans mentir dire aux curieux, auxquels il voulait cacher son invention, qu’il était fabricant de miroirs.

Dès que le secret des caractères mobiles est divulgué, dès que l’imprimerie s’établit partout, à Rome, à Paris, à Venise, dans les Flandres, en Allemagne, aussitôt les livres à images se multiplient. À la fin du XVe siècle, on les compte par centaines. En France, les Anthoine Vérard, les Philippe le Noir, les Jean Trepperel et tant d’autres libraires illustres dans les annales de la bibliographie donnent avec un grand luxe de figures en bois des éditions des poètes et des conteurs français, des