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d’après lesquels ils pouvaient démontrer, de la façon la plus persuasive, combien il était raisonnable, et par conséquent nécessaire, de comprendre, de régler, de diriger le développement d’un état suivant leurs conceptions. C’étaient des hommes à qui leur nature avait fait le plus impérieux besoin d’une conviction forte, et qui, sur leur chemin, s’étaient si parfaitement pénétrés de la vérité de leurs idées subjectives, que les contradictions même les plus visibles du dehors ne pouvaient éveiller un doute dans leur esprit. C’est à cette catégorie d’hommes d’état qu’appartient notoirement M. Guizot.

« Il est rare qu’un homme aux mains de qui est remis le sort d’un peuple produise à lui seul quelque chose d’extraordinaire, soit en bien, soit en mal ; il faut pour cela qu’il soit soutenu et complété par le concours d’une action homogène. C’est ce qui arriva ici : les convictions, les vues, les projets, l’obstination aveugle du roi, trouvèrent leur entier complément dans le caractère du ministre, dans sa vaine et immodérée confiance en lui-même, dans sa ténébreuse prétention de posséder le bon droit ; et ce complément devait exercer une action d’autant plus forte et plus décisive que M. Guizot avait en France et hors de France la réputation d’un homme d’état désintéressé.

« Le roi et le ministre s’étaient unis dans cette conviction, que l’opposition, au sein des chambres et en dehors, ne demandait plus de réformes, qu’elle voulait la révolution, la chute de la dynastie, le renversement de l’ordre social. Sur cette base fondamentale s’établit de plus en plus entre le roi et le ministre une étroite solidarité, autant du moins que le caractère du roi s’y prêtait. Tous deux firent de cette opinion un principe dirigeant, tous deux résolurent de repousser à l’avenir chaque demande sérieuse de l’opposition, puisque ces concessions, suivant eux, seraient faites désormais non plus à un parti constitutionnel adverse, mais à un parti révolutionnaire s’avançant sous ce manteau. Ces projets révolutionnaires, qu’ils apercevaient l’un et l’autre en tout mouvement politique et en toute chose, ils voulurent en avoir raison non par des réformes, mais par la force. En prenant cette résolution, le roi et son ministre avaient abandonné le véritable chemin constitutionnel, et engagé une lutte, dirigée non pas, comme ils le croyaient, contre un parti révolutionnaire, mais contre la liberté régulière de la nation. Le ministre surtout se fit un point d’honneur de mener cette lutte à bien, il y concentra toute son habileté, il ne compta plus que sur l’armée, sur les fortifications de Paris, il cessa de se préoccuper comme auparavant de la possibilité des émeutes et des insurrections. »


La réponse que M. Guizot eût faite à ces accusations, il l’a indiquée dans ses Mémoires, lorsqu’il a exprimé le regret que la France ait essayé en 1830 quelque chose d’analogue à ce que l’Angleterre a réalisé en 1688. « Nous nous sommes fait illusion, a-t-il dit ; dans