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la hiérarchie de la société anglaise, il y avait des bases, des étages, des points d’arrêt qui manquaient à la nôtre. » C’est presque le mot de Napoléon au lendemain du directoire : « La société a été réduite en poussière. » Développant ce point de vue, qui n’est que trop vrai, M. Guizot eût ajouté sans doute que la violence des passions révolutionnaires justifiait suffisamment sa conduite. Avait-il donc eu si tort de se considérer comme en état de guerre ? avait-il manqué à ses devoirs en inaugurant une politique de résistance ? est-ce que tout ce qui a suivi ne prouve pas qu’il avait vu clair dans la situation générale ? D’ailleurs, et c’est la grande réponse au point de vue du droit constitutionnel, il avait toujours agi correctement. Pouvait-on lui reprocher de s’être perpétué au pouvoir, quand la majorité des deux chambres n’avait cessé de le soutenir ? Lorsque ses adversaires du parlement, les hommes de ce groupe trop faible qui s’appelait la gauche dynastique, lui exprimaient en particulier leurs craintes à ce sujet, M. Guizot leur disait ironiquement : « Eh bien, renversez-moi. Mettez le ministère en minorité. Tant que la majorité nous donne la victoire, mon devoir est de garder mon poste. À Paris comme à Londres, c’est la règle. » voilà ce que l’illustre orateur aurait répondu triomphalement au conseiller de la reine Victoria ; mais, si grand que fût son art, si altière que fût sa parole, il eût provoqué aussitôt une contradiction accablante. Stockmar eût opposé la vérité du système constitutionnel au pseudo-système des doctrinaires, et M. Guizot eût été convaincu d’avoir appliqué à faux les principes qu’il croyait posséder mieux que personne. Tout ce qui précède, en effet, dans l’argumentation si pressante du conseiller de la reine, n’est que la préparation d’une sentence définitive. N’oublions pas qu’il s’agit du droit constitutionnel et que sur ce terrain Stockmar est un maître. Voici donc comment se terminent ces pages où la politique de M. Guizot est jugée à un point de vue si neuf, non plus au point de vue de la passion, de la passion révolutionnaire ou légitimiste, mais au nom du droit même dont elle relève et de la pratique des grands ministres anglais :


« Lorsque je compare l’état politique réel de la France de ce temps-là et l’agitation orageuse qui avait saisi l’opinion publique, à la candeur, au courage, à l’obstination avec laquelle le ministre poursuivait sa voie, je me heurte à une véritable énigme psychologique. Au lieu d’en chercher la solution, je me borne à citer ici la déclaration que le ministre lui-même faisait à plusieurs de ses amis immédiatement après la catastrophe : « Plus l’horizon politique s’assombrissait en France, plus les difficultés s’amoncelaient en face de lui, plus ses adversaires redoublaient contre sa politique leurs véhémentes attaques, plus aussi il s’était maintenu, il s’était retranché, consciencieusement et loyalement,