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impossible. Le général Dumouriez venait d’abandonner l’armée française avec 1,200 de ses guides sortis pour la plupart des troupes de cavalerie légère. On en forma un régiment sous le nom de Uhlans, dont le commandement fut donné au fils du marquis de Bouille, et quatre régimens de hussards qui furent mis sous les ordres du duc de Choiseul, du prince Louis de Rohan, du prince de Salm et du baron de Hompesch. On les appelait des régimens français à la solde anglaise. Mon père commanda une compagnie des hussards de Salm ; ces troupes furent immédiatement employées à défendre la Hollande contre l’armée de Pichegru. On a beaucoup parlé de l’animosité qui régnait entre les soldats révolutionnaires et les corps d’émigrés ; voici un fait qui contredirait cette assertion. Les régimens dont je viens de parler étaient en face du principal corps d’armée dirigé par Pichegru ; mon père était aux avant-postes avec son ami M. du Tillet ; ils commandaient tous deux la grand’garde. Un matin, ils virent une forte colonne se diriger de leur côté. Bientôt un officier se détacha de la colonne et vint au-devant d’eux : c’était M. d’Aumont, depuis général, alors attaché à l’état-major du général Pichegru. Il venait dire de la part du général républicain qu’ayant eu ordre de la convention de fusiller tous les prisonniers français, il préférait les renvoyer sans rançon. Au moment où arrivèrent les prisonniers, escortés par des hussards et des chasseurs, la nouvelle de la mission de M. d’Aumont s’était répandue dans le camp. De part et d’autre les cavaliers descendirent de cheval ; on se fit politesse, on regarda curieusement les armes et les uniformes les uns des autres. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’on s’était attablé et qu’on trinquait ensemble en chantant ce refrain du temps : « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? » Quand M. d’Aumont repartit, plusieurs de ses gens ne répondirent pas à l’appel ; ils s’étaient faufilés et cachés dans les tentes des émigrés. M. d’Aumont ne fit pas semblant de s’en apercevoir. En revanche, quelques hommes manquèrent le soir au camp des émigrés ; chacun était allé rejoindre le drapeau de ses vraies affections.

S’il n’y avait pas beaucoup d’élan parmi les soldats de l’armée des émigrés, au moins les officiers étaient-ils un peu au fait de leur métier. Il s’en fallait qu’il en fût de même des officiers de l’armée anglaise dont la plupart faisaient alors leurs premières armes sur le continent. Ils étaient, comme instruction, très inférieurs aux officiers émigrés, qui n’en savaient pas eux-mêmes beaucoup. L’issue de la campagne l’a fait assez connaître, mais mon père eut tout d’abord occasion de s’en apercevoir. On entremêlait habituellement les compagnies des différens corps, mettant une compagnie