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III. — L’AFFRNCHISSEMENT DE LA COLONIE.

Voilà donc la colonie du Cap débarrassée, par l’initiative du cabinet britannique, des dépendances lointaines qui troublaient parfois sa sécurité. Natal est pourvu d’une administration séparée ; l’Orange et le Transvaal sont des états libres. A dire vrai, si les habitans des vieilles provinces regrettaient un peu cette sécession, qu’ils n’avaient point sollicitée et qui menaçait de rompre des relations de famille ou de commerce, ils s’inquiétaient bien plus de leurs affaires intérieures. Issus, en leur qualité de sujets anglais, d’une contrée où la liberté politique est en vigueur, ils s’indignaient d’être encore privés d’institutions parlementaires. Le moment est venu d’exposer par quels incidens fut précédée la constitution qu’ils obtinrent enfin en 1853. Il convient à cet effet de remonter un peu plus haut, aux premiers symptômes de l’éveil de l’esprit politique dans les établissement de l’Afrique australe. Ce récit n’est peut-être pas sans intérêt, car il montre comment les émigrés anglais se préparent à l’exercice des droits de citoyens, avec quelle mesure le gouvernement résiste à leurs désirs, et comment ils se montrent dignes de devenir indépendans.

Jusqu’en 1820, la population du Cap, qui ne se composait presque que de sujets hollandais et de natifs, était restée soumise au pouvoir absolu du gouverneur. Ce n’était pas étonnant. On était en état de guerre, et c’était un pays conquis. À la paix, des émigrans arrivèrent des îles britanniques. Dans le nombre se trouvaient un Écossais, Thomas Pringle, écrivain de quelque mérite, crue la recommandation de son compatriote Walter Scott fit choisir comme bibliothécaire de la ville[1], et un autre littérateur, John Fairbairn. Tous deux s’associèrent pour ouvrir une école d’instruction supérieure, pour créer une société académique, en un mot pour développer sur cette terre d’adoption la culture intellectuelle. Bientôt ils prétendirent fonder deux journaux périodiques, l’un mensuel et l’autre hebdomadaire. Il y avait déjà une presse ; mais elle n’avait servi jusqu’alors qu’à imprimer des almanachs et une sorte de journal officiel que remplissaient les actes du gouvernement et des annonces. Cette innovation déplut au gouverneur, lord Charles Somerset, qui signifia sa volonté de lire en épreuves ces deux feuilles suspectes. Pringle et Fairbairn déclarèrent avec beaucoup de calme

  1. Il est utile de rappeler en passant que la bibliothèque du Cap est devenue la plus riche qu’il y ait au monde en livres et manuscrits relatifs aux langues de l’Afrique et de la Polynésie, grâce aux dons de sir George Grey, l’un des gouverneurs de la colonie, du révérend Moffat et d’autres voyageurs encore. Par malheur, les savans capables d’exploiter ces trésors sont encore rares dans l’Afrique australe.