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aujourd’hui bien plus difficile et bien plus importante qu’autrefois. Dans la paix, parce qu’ils ont à faire le dressage de soldats plus jeunes appartenant à toutes les classes de la société, se succédant sous le drapeau avec une rapidité, — elle s’augmentera encore à l’avenir[1], — qui ne laisse ni paix ni trêve à leurs éducateurs. Dans la guerre, parce que. les lignes de bataille condensées et relativement immobiles, que surveillait efficacement autrefois le cadre des officiers et des sous-officiers, sont remplacées, — en ce qui concerne l’infanterie spécialement, — par les lignes brisées, incessamment mobiles, trop souvent confuses, du combat moderne éparpillé où les sous-officiers, mêlés aux tirailleurs, ont un rôle individuel, même isolé, d’encouragement et de direction, qui est principal et que j’aurai l’occasion de définir avec plus de précision.

Pour élever l’esprit et les habitudes des sous-officiers à la hauteur de ce double rôle, il faut que leurs officiers, — dont le zèle doit être incessamment appliqué à les en pénétrer, — leur témoignent en toute occasion, spécialement et expressément devant la troupe, une considération marquée par beaucoup de confiance pour les affaires de service, par beaucoup de ménagemens et même de courtoisie dans les rapports quotidiens. C’est par l’application de ces procédés de commandement que les officiers de marine entretiennent la forte et traditionnelle autorité de la maistrance sur les équipages des vaisseaux. Ce principe essentiel, à présent perdu, était réglementé et rigoureusement suivi dans l’armée de l’ancien régime où jamais les officiers, tous d’origine nobiliaire, ne s’adressaient à un bas officier (le sous-officier d’aujourd’hui) sans l’appeler « monsieur.) Aux officiers de l’armée moderne, en si grand nombre parvenus de la démocratie, cette règle-là semblerait aujourd’hui très peu militaire, comme ils disent, et très mal séante. Elle avait, ne leur en déplaise, une haute signification : elle accoutumait l’officier à la considération, le soldat au respect du bas officier et le bas officier lui-même au sentiment de la dignité de son état.

Nos sous-officiers n’ont pas hérité, sous ce rapport, de la fortune des bas officiers. Ils sont généralement traités par leurs chefs avec un laisser-aller dont on doit attendre et qui produit des effets opposés à ceux que je viens de définir. Il arrive qu’ils sont vivement interpellés, quelquefois réprimandés, quelquefois même punis devant la troupe. Et j’ai fait cette observation singulière, que les officiers originaires du rang sont plus coutumiers du sans-façon à l’égard du sous-officier, dont pourtant ils ont autrefois porté les galons, que les officiers sortis des écoles militaires, qui entrent de plain-pied dans l’armée avec l’épaulette.

  1. Quand la durée du service, comme il est nécessaire et inévitable, sera réduite de cinq ans à trois ans.