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UNE


CORRESPONDANCE INÉDITE


DE FRÉDÉRIC BASTIAT
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Après la mort de Bastiat, on publia un demi-volume de sa correspondance. D’autres lettres, encore inédites, qu’on a bien voulu nous communiquer, ajoutent quelques traits à cette figure intéressante et originale. Ce sont des lettres intimes, écrites d’une plume rapide, confiante et facile. L’amitié est un talent ; pour qu’elle atteigne à la perfection, pour qu’elle soit dans la vie une garantie de bonheur, il faut que le cœur et l’esprit, s’entr’aident, et trop souvent l’esprit est l’ennemi du cœur. Bastiat était un virtuose dans l’art difficile et savant de l’amitié. Cet homme de polémique, ardent à l’attaque, terrible dans la riposte, cet écrivain de combat, dont les pamphlets sont des chefs-d’œuvre, était né pour la douceur des longs attachemens qui acquièrent en vieillissant tout leur bouquet. Aussi les excellens amis qu’il méritait d’avoir ne lui firent-ils jamais défaut ; ils ont jusqu’à la fin encouragé ses espérances, conseillé ses incertitudes, adouci ses tristesses. Dans une des lettres que nous avons sous les yeux, il dit, parlant de lui-même : « Les organisations un peu éthériques ont le malheur d’être fort sensibles aux contrariétés et aux déceptions ; mais combien elles le sont aussi aux joies inattendues qui leur arrivent ! » L’auteur des Sophismes et des Harmonies économiques était doué d’une sensibilité vive et délicate, il y avait un peu d’éther dans son organisation, et il éprouvait le besoin de causer avec ceux qu’il aimait de ses déceptions et de ses joies, de leur raconter tout ce qui se passait dans son esprit et dans ses nerfs. Il s’en acquittait à merveille ; il avait l’abandon, la grâce, le charme ; il avait su conserver à Paris la qualité qui s’y perd le plus facilement, ce je ne sais quoi qu’on appelle la fraîcheur. Les ormeaux à petites feuilles et les vernis du Japon qui décorent nos boulevards ont