et de sa voix ? C’est une bien douce, mais bien impérieuse habitude que celle d’être informé jour par jour de ce qui intéresse ; elle rend pénible la plus courte absence. »
Il est vrai qu’elle était charmante, Mlle Louise, et bien digne d’occuper d’elle un homme supérieur. Ses lettres témoignaient de sa malice et de sa bonté ; elle avait une âme « qui ne demandait qu’à s’épanouir au bonheur, qui se mettait à l’unisson de tout ce qui est beau, gracieux, aimable, qui avait de l’affinité avec tout ce qu’il y a d’harmonieux dans la lumière, les couleurs, les sons, la vie. » Elle était musicienne, elle possédait une voix admirable, et Bastiat aimait mieux « une romance chantée par, elle qu’un concert tout entier renforcé de vocalises et de tours de force. » — « Quand votre enfant chante, tous les cœurs sont attentifs, toutes les haleines suspendues, d’où je conclus que c’est la vraie musique… Une note ou plutôt un cri de l’âme que j’ai entendu samedi a fait avec moi deux cents lieues ; il vibre encore dans mon oreille, pour ne pas dire plus… Pauvre chère enfant, je crois bien avoir deviné la pensée dont elle a empreint le triste chant de Pergolèse ; cette voix touchante, dont les derniers accens semblaient se perdre dans une larme, ne disait-elle pas adieu aux illusions du jeune âge, aux beaux rêves d’une félicité idéale ? Oui, il semblait que votre chère Louise se sentait amenée par les circonstances à cette limite fatale et solennelle qui sépare la région des songes du monde de la réalité. Puisse la vie réelle lui apporter au moins un bonheur calme, solide, quoique un peu grave ; pour cela, que faut-il ? un bon cœur et du bon sens dans celui qui sera chargé de ses destinées. » Hélas ! ses destinées furent bien courtes, et, comme s’il en avait eu le pressentiment, Bastiat était plein d’une anxieuse et paternelle sollicitude pour celle qu’on appelait Louisette. Lui écrivant de Lyon, il lui recommandait de se défier des fraîcheurs de l’automne, de ne pas chanter trop longtemps avec les fenêtres ouvertes, « de redouter les retours de Chatou à onze heures de la nuit. » Par la même occasion, il lui raconte qu’allant de Paris à Tonnerre, il a tenu ses yeux fixés « sur un nuage probablement visible à la Jonchère. » — « Je me rappelai que vous étiez peu satisfaite des paroles qu’on a mises à la jolie mélodie de Félicien David ; j’en adressai d’autres, à mon nuage. » Les temps sont bien changés. Il se peut qu’il y ait encore quelque part une jeune fille charmante et musicienne, qui soit en correspondance réglée avec un Bastiat ; mais assurément les Louisettes d’aujourd’hui ne rêvent plus à la félicité idéale en chantant du Pergolèse ; elles tiennent davantage au positif, leurs songes courent plus près de terre ; elles les mènent au bois, elles les en ramènent, et quand ils ont fait le tour du lac, ils sont au bout de leur voyage ; l’oiseau ne s’envolera pas, on a eu soin de lui rogner les ailes. A la vérité, certaines jeunesses de ce temps se piquent d’avoir l’imagination exaltée ; elles s’écrient : — De deux choses