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magnéto-électrique. Un Américain, M. Edison, est un des premiers qui se soient engagés dans cette voie ; d’autres chercheurs l’y suivent déjà, et les premiers essais sont loin d’être décourageans.

La découverte de la téléphonie a comblé la seule lacune qui subsistât encore dans la correspondance rapide du télégraphe. Les appareils autographiques de Caselli, de d’Arlincourt, donnent depuis bien des années déjà le moyen de transmettre, à distance, l’image exacte d’une écriture, le portrait ressemblant d’une personne. Le téléphone reproduit la voix. On est donc aujourd’hui à même de communiquer avec le monde entier, de la même façon et dans le même délai qu’il est possible de le faire entre habitans d’une même ville.

Deux ingénieurs français, MM. Napoli et Marcel Depretz, viennent tout récemment d’imaginer un appareil qui se rattache d’une manière toute naturelle à ceux que nous venons d’étudier. Leur invention permet non-seulement de porter la voix à distance, mais elle rend encore possible d’en conserver la trace pendant un laps de temps quelconque, de sorte qu’un discours prononcé aujourd’hui peut être prononcé de nouveau demain, mais cette fois mécaniquement. La sténographie deviendrait dès lors inutile, puisqu’on aurait le moyen d’emmagasiner la voix humaine avec toutes ses nuances de timbre et d’intonation.

L’esprit se perd quand on pense qu’à l’aide d’une semblable machine, suffisamment perfectionnée, il eût été possible de conserver fidèlement la manière des grands orateurs, et qu’on pourrait entendre à volonté Démosthène, Cicéron, Bossuet,.. sans voir toutefois leurs gestes, leur physionomie, puisque l’appareil qui pourrait conserver la trace d’une scène vivante n’est pas encore réalisé. Mais avons-nous le droit d’affirmer a priori l’impossibilité d’une pareille invention, en présence de miracles auxquels notre siècle a déjà donné le jour ? Nous ne le pensons pas. Si demain on trouvait le moyen de ne tenir aucun compte de l’opacité des corps, si un télescope d’un nouveau genre permettait de voir au loin à travers les murs et les montagnes, et de conserver aux objets d’un tableau la mobilité qu’ils ont possédée pendant une minute, une seconde même, nous nous accoutumerions bien vite à ces prodiges. Nos petits-fils les considéreraient comme des choses toutes simples et concevraient avec peine comment leurs pères ont pu vivre dans un tel état de barbarie. Nier d’abord, espérer, s’étonner et oublier ; telle est en effet la série des impressions par lesquelles passera toujours l’esprit humain.


ANTOINE BREGUET.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.