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collaborateurs a répondu à cette question dans une page excellente où il compare lord Palmerston à lord John Russell. Lord John Russell, homme de principes, s’inquiète peu de plaire ou de déplaire ; il va droit devant lui, et, dans l’erreur comme dans la vérité, il ne s’inspire que de sa conscience. Lord Palmerston, Anglais par-dessus tout, s’attache constamment à flatter les passions anglaises ; autant il est rude et altier dans ses rapports avec les puissances étrangères, autant il est souple, insinuant, séduisant dans le parlement et dans le monde. Les esprits qui lui résistent, il réussit à les gagner ; les blessures qu’il a faites dans l’entraînement de la lutte, il les guérit à force d’adresse et de bonne grâce. Il s’était réconcilia complètement avec le prince Albert, et la reine, qui avait tant de griefs contre lui, a fini par lui conférer l’ordre, de la Jarretière. C’est qu’il aimait le pouvoir pour le pouvoir, et que du haut en bas de la société britannique, par la courtoisie, par l’agrément, par le sans-façon des manières, par mille ressources de langage et d’allure appropriées aux lieux et aux personnes, il s’emparait des intelligences sans trop se soucier des partis. Dans un temps d’évolutions parlementaires qui avaient décomposé tous les groupes, son grand art était de pressentir les changemens de l’opinion et de s’y accommoder à propos. De là cette popularité qui fit surtout sa force dans les vingt dernières années de sa vie. Eh bien ! que reste-t-il de ce long règne parlementaire ? un brillant souvenir destiné à s’éteindre. Lord Palmerston n’a enrichi le statute-book d’aucun bill important, d’aucun bill vraiment libéral et humain, « tandis que le nom du comte Russell restera éternellement gravé sur les tables de la loi comme celui du patriote libéral qui, dans la chambre des communes, contribua plus que personne à faire voter le bill de 1832. » Ainsi conclut M. Xavier Raymond, et cette sentence nous paraît la vérité même[1]. On essaierait en vain de la réformer.

Deux mois plus tard, le 10 décembre 1865, le roi Léopold disparaissait à son tour. Ce n’est pas lui qui sera jugé comme lord Palmerston. Après ce règne de trente-quatre ans, l’auguste souverain laissait autre chose que le souvenir d’une personne éminente : il laissait des actes, et le plus grand de tous les actes, la fondation d’un état, la régénération d’un peuple assuré désormais de sa vitalité propre et de son indépendance. Aussi, lorsque le 2 décembre 1865 le Moniteur belge annonça officiellement la maladie du roi, si la tristesse fut profonde, le patriotisme ne ressentit aucune inquiétude. L’esprit de Léopold Ierétait assuré de lui survivre dans son œuvre. Vainement la presse étrangère exprimait-elle des appréhensions sur l’avenir de la Belgique, la Belgique se sentait forte,

  1. Annuaire des Deux Mondes, t. XIII, p. 349-350. Paris, 1866.