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ce qu’il ne faut pas oublier, lancé l’humanité dans une marche qui doit être ininterrompue, vers des destinées toujours plus complètes. Il était donc juste que ces sciences morales et politiques, qui avaient exercé une telle influence sur le XVIIIe siècle et qui venaient de faire une révolution, eussent une représentation particulière dans le sein de l’Institut. C’est ce que comprirent ses trois principaux fondateurs : Talleyrand, qui présenta le premier ce projet à l’assemblée constituante, Daunou, qui le fit accepter par la convention la veille même du jour où elle cessa d’exister, et Lakanal, qui organisa sous le directoire cette véritable assemblée représentative des sciences, des lettres et des beaux-arts, à laquelle furent confiés le dépôt des précieuses conquêtes obtenues, en même temps que la mission de les perfectionner. Il semble qu’au moment de se terminer le XVIIIe siècle ait voulu, par la fondation la plus durable, instituer les gardiens des belles sciences qui avaient fait sa gloire et créer pour l’esprit humain des états généraux où celui-ci fût représenté dans ses plus éclatantes manifestations.

Mais c’est parce que l’Académie des sciences morales et politiques était tout particulièrement chargée de conserver et d’accroître le dépôt qui lui avait été confié qu’elle ne tarda pas à porter ombrage au premier consul. Celui-ci voulait être secondé et non contredit. Il consentait à pardonner leur passé aux hommes qui avaient participé à la révolution, mais à la condition qu’ils abdiqueraient leurs principes pour se livrer entièrement à un maître aux yeux duquel penser c’était protester et qui érigeait en règles de conscience les besoins de son autorité. Il répondait aux prières d’Auguste Staël, qui sollicitait le retour de sa mère à Paris et promettait qu’elle ne s’occuperait plus de politique : « Bah ! de la politique ! N’en fait-on pas en parlant de morale, de littérature, de tout au monde ?[1]. » Tous ceux qui, au tort d’avoir des idées en propre, joignaient celui de vouloir s’y tenir, il les nommait des idéologues, et cette désignation était une déclaration d’hostilité contre eux. L’Académie des sciences morales et politiques, qui en contenait beaucoup, fut supprimée. Rétablie en 1832, elle ne tarda pas à choisir M. Mignet comme son secrétaire perpétuel. Il y avait dans le choix de l’historien de la révolution française une convenance parfaite de la part d’une académie directement issue de cette révolution. Les survivans du XVIIIe siècle, encore nombreux alors dans cette classe de l’Institut, avaient partagé leur vie entre les recherches de la pensée et les vicissitudes de l’action. À la fois savans éminens et hommes d’état considérables, ils obligeaient leur biographe à ne pas séparer l’histoire de leurs travaux de celle de leur pays. La plupart d’entre

  1. Villemain, Cours de littérature française au dix-huitième siècle, t. IV, p. 365.