Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ailleurs. À l’époque même où ils se fixèrent sur la rive droite du Vaal, ces émigrans erraient depuis des années dans le désert, comme les Israélites de l’Ancien-Testament, auxquels ils aimaient à se comparer. Ils avaient même emprunté à la Bible le peu d’organisation sociale que comportait cette existence nomade : un chef de famille, maître absolu de son clan, autour de lui les enfans et petits-enfans, mariés ou non, vivant sous ses ordres dans le respect et l’obéissance. Les boers avaient conservé les vertus hollandaises ; ils étaient honnêtes, hospitaliers, religieux. Qu’on en juge par le tableau qu’en faisait tout récemment une revue anglaise :

« Le fermier hollandais ou boer de l’intérieur peut être dépeint en peu de mots. Dans toute société, il y a des exceptions mauvaises, et les exceptions étant ce dont on parle le plus, on s’est figuré que le boer ne vaut guère mieux qu’un sauvage. Il faut l’envisager sous un plus beau côté. C’est un type immuable. Tel il était dans la colonie du Cap en 1806, tel il est en 1876 dans les républiques de l’intérieur. Il est sans culture, il repousse le progrès ; mais il possède des qualités qui ne sont point sans valeur.

« Pour s’établir, il choisit une plaine un peu ondulée de 6,000 à 20,000 arpens d’étendue. Il y arrive dans son chariot avec femme et enfans, quelques ustensiles, une Bible qui est toute sa bibliothèque, ses bœufs et ses moutons. Il place sa maison auprès d’une source, à dix milles environ de son plus proche voisin ; puis il construit des enclos pour ses troupeaux et se fait un jardin qu’il irrigue. La végétation est si puissante sur ce sol et sous ce climat qu’au bout de quatre ou cinq ans il récolte des oranges, des citrons, des pêches, des figues, des raisins. Un carré de 50 à 100 arpens est ensemencé en froment ou en maïs. Les troupeaux se multiplient sans effort. S’il est ambitieux, il y ajoute des autruches dont les plumes se vendent à Port-Élisabeth. Là-dessus il vit dans l’abondance. Ses fils grandissent ; ses filles trouvent des maris ; si l’endroit est avantageux, ils restent tous auprès de lui. Pour chaque nouveau ménage, on bâtit une maison à quelques portées de fusil de la première ; on met quelques hectares de plus en culture. Une seconde génération survient. Les deux vieux époux sont les patriarches de ce hameau. Les enfans se réunissent autour d’eux pour le repas du soir, que précède une prière solennelle, de même que la journée commence par un psaume… Le boer n’a pas hâte de s’enrichir ; il ne désire pas changer. Il n’a que dés besoins qu’il peut satisfaire ; il ne demande qu’à vivre isolé. L’obéissance qu’il réclame de ses enfans, il l’exige aussi de ses serviteurs… Sans enthousiasme, avec l’horizon intellectuel le plus borné, il a l’esprit pratique qui convient au pionnier de la civilisation africaine. »

Cette description est presque une idylle. Ne croirait-on pas, à se