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contenter de ce récit, que la vie des boers du nord est la mise en action d’un livre fameux dans la littérature enfantine, le Robinson suisse ? Les gens peu crédules qui vont aux bons renseignemens apprennent par malheur que la réalité est moins édifiante. La vérité est que les colons hollandais se croient les maîtres de la terre par droit divin, qu’ils estiment que les natifs sont des êtres subalternes au point que la constitution de leur république interdit l’égalité de condition entre les hommes blancs et leurs voisins indigènes. On peut imaginer quelles conséquences des individus isolés, soustraits à toute surveillance, font découler de cette doctrine. Le traité conclu en 1852 entre le commissaire britannique et le grand-chef Pretorius, lequel traité est l’acte d’indépendance des réfugiés du Transvaal, stipulait que les boers aboliraient l’esclavage. En principe, il n’y a pas d’esclaves en effet ; mais on s’empare des enfans indigènes après avoir massacré ou mis en fuite les parens ; on retient ces enfans en apprentissage jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, jusqu’à ce qu’ils aient oublié leurs traditions de famille et qu’ils n’aient plus d’autre ressource que de vivre en travaillant au profit du patron qui les a élevés. Il en est résulté, comme on doit s’y attendre, que les boers ont été toujours en état d’hostilité chronique avec les tribus qui les environnent.

Soit pour éviter le contrôle des nations civilisées, soit parce qu’ils se croient vraiment seuls possesseurs légitimes des terres situées au nord de Vaal aussi loin que l’on peut aller vers l’équateur, ils ont montré beaucoup de mauvais vouloir envers les voyageurs qui prétendaient pénétrer à l’intérieur du continent. Les autorités de la république refusaient le passage aux étrangers, souvent même les expulsaient. Le motif avoué est le danger d’apprendre aux indigènes l’usage des armes à feu. Les missionnaires n’étaient pas mieux traités que les autres. Livingstone résidait en qualité de missionnaire et de médecin, à Kolobeng, chez les Backwains. Tandis qu’il était absent, un commando eut lieu contre Secheli, dont il était l’ami, sous prétexte que ce chef avait donné asile à des voleurs. Mobilier, livres, bétail, tout fut détruit chez lui. On sait comment s’en vengea l’illustre explorateur, qui a dû ses grands succès précisément à la bienveillance dont il a toujours fait preuve envers les natifs. A partir de ce jour, les liens qui le rattachaient à la station de Kolobeng étant rompus, il entreprit de pénétrer dans les régions inconnues de l’Afrique centrale ; il ouvrit la voie aux Européens en allant plus loin que les boers n’étaient jamais allés.

Il est aisé de concevoir que dans un état dont les citoyens s’isolaient les uns des autres, il n’y avait pour ainsi dire pas de gouvernement central. Il n’y en avait guère besoin non plus, puisque