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le joug humiliant qui pesait sur eux, ils adressèrent une requête au pape Léon X, se plaignant « que les recteurs et vicaires des, paroisses où ils vivent font difficulté de les entendre en confession et de les admettre aux sacremens comme les autres chrétiens,… soi-disant parce que leurs ancêtres adhérèrent anciennement à un certain Raymond de Toulouse, qui fit rébellion à la sainte église romaine. » Trois ans après, ils s’adressèrent également aux états de Navarre assemblés à Pampelune ; mais là ils rencontrèrent un adversaire acharné en la personne de Caxar Arnaut, huissier du conseil royal, qui avait pris à tâche de faire repousser leur requête. D’après lui, l’origine de leur séparation est bien plus ancienne qu’ils ne disent, antérieure même à l’avènement de Jésus-Christ, « car elle date du prophète Elysée, quand Nahaman alla près de lui pour se guérir de la lèpre, et que le prophète, en saint homme qu’il était, refusa les dons qu’on voulait lui faire, tandis que Giezi, son serviteur, poussé par l’avarice, se les fit subrepticement donner ; sur quoi il fut maudit par Elysée, lui et tous ceux qui descendraient de lui. De sorte que les agotes, qui sont ses descendans, et non de la compagnie du comte Raymond, souffrent encore les effets de cette malédiction, car ils sont lépreux et corrompus en dedans, comme il appert manifestement par cette expérience que les herbes qu’ils foulent de leurs pieds se sèchent et qu’une pomme ou tout autre fruit se pourrit immédiatement entre leurs mains. Leurs personnes et leurs habitations sont infectées et contaminées. Voilà pourquoi leur communication avec les autres chrétiens serait très dangereuse et comment, quoique chrétiens, ils ne sont pas baptisée aux mêmes fonts que les autres. » En dépit de l’éloquence de Caxar Arnaut, les états, favorables aux agotes, insistèrent pour eux auprès de l’officialité de Pampelune, déjà chargée par le pape de toute cette affaire, et qui, au bout de deux ans, fit connaître sa sentence. Sans se prononcer sur la cause même de la séparation des agotes, et, statuant seulement sur le fait, elle juge les requérans fondés en leur demande, ordonne qu’ils seront rétablis dans tous les droits et honneurs des fidèles, et enjoint aux recteurs des paroisses de se conformer à ladite sentence apostolique, sous peine de censure et d’amende. Peu après, les agotes obtenaient de l’empereur Charles-Quint une cédule qui rendait exécutoire pour les effets civils l’ordonnance ecclésiastique dont ils étaient pourvus, et leur reconnaissait les mêmes droits qu’aux autres habitans des lieux de leur résidence. La cédule de l’empereur, comme la bulle du pape, fut lue solennellement dans les églises et proclamée par les rues. A l’Espagne donc revient cette gloire d’avoir, la première en l’espèce, conformé sa législation aux préceptes de la justice et de la charité ; il est vrai de dire que, pour les agotes, le résultat de