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du chapeau de cardinal n’est qu’une fable, que pourrait imaginer de mieux la fantaisie pour faire ressortir certaines faiblesses d’une organisation nerveuse et prompte à se laisser aller à toutes les fascinations, à toutes les glorioles du moment, la grande gloire par delà l’existence ne suffisant point au voluptueux, au raffiné mondain ? Se figure-t-on Michel-Ange briguant la pourpre ? Quel pape eût osé seulement la lui offrir ? Il y a des natures qui se grandissent par ce qu’elles ambitionnent et d’autres qui sont surtout grandes par ce qu’elles dédaignent. Raphaël aimait les honneurs comme il aimait la richesse et le plaisir. À son activité triomphante et joyeuse, aucun autre théâtre n’eût mieux convenu que la Rome de la renaissance ; il y vécut, aima et mourut en prince. Je ne puis voir la Transfiguration sans être ému de ce sentiment de mélancolique admiration qu’on éprouve en entendant le Requiem de Mozart ; l’une et l’autre de ces deux merveilles évoquent des visions de deuil, et, s’il est vrai que l’œuvre immense de Raphaël soit une symphonie, ce tableau de la Transfiguration en serait le Lacrymosa. Mais dans ce deuil que de splendeur, quelle apothéose ! Le tableau se divise en deux parties : dans le bas, toutes les misères, toutes les angoisses de la triste humanité ; ce père au désespoir, cet enfant que le démon travaille, cette femme tragique superbement agenouillée et dont la prière ressemble à de l’objurgation, ces apôtres aux cœurs pleins de compassion et n’ayant que l’éternel « je n’y puis rien » pour réponse au cri de souffrance universelle ; puis là-haut, bien loin dans la lumière et dans l’azur, le Transfiguré montant radieux, souriant, impondérable au-dessus du Thabor ! En présence d’une telle œuvre d’art, chacun y va de ses yeux et de son âme ; l’un s’échauffe, l’autre reste froid, celui-ci croit y lire une page des livres saints, celui-là se figure y découvrir une allégorie de la vie même du divin Sanzio.

Nous venons de voir Raphaël poète ; peut-être quelqu’un se chargera-t-il aussi plus tard d’étudier en lui l’historiographe de Jules II et de Léon X, ces princes dont les peintures du Vatican ne nous offrent qu’un panégyrique de parti-pris. Et tout de suite, par exemple, que de réflexions diverses et qu’on voudrait pouvoir développer fait naître en vous, dès l’entrée de la Stanza d’Eliodoro, cette splendide scène du pape Léon s’avançant à la rencontre d’Attila ! Cette page vous livre tout Raphaël ; vous avez, à côté du peintre inimitable, le Raphaël historiographe et courtisan ; dans ce chef barbare, entouré de sa cavalerie tumultueuse, se résume le type des envahisseurs de la ville éternelle, qu’ils s’appellent Attila, Alaric, Odoacre. C’est l’histoire idéalisée de ces époques de migration et de dévastation. Et maintenant regardez ce pape, qui, d’un