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tristement parcourue dans l’isolement ; passez en revue les artistes contemporains, renseignez-vous près de leurs biographes, et vous serez frappé de l’influence énorme qu’il exerce sur tous, et de l’incalculable faculté de rayonnement que possédait ce grand misanthrope. Guarde l’opéra di Rafaele che, come vide le opere di Michelagnolo, subito lasso la maniera del Perosino e quanto più poteva si accostava a quella di Michelagnolo. Ces paroles, déjà citées, sont de Jules II, qui, tous les deux, les avait fait venir à Rome, et disent assez haut que Raphaël n’essaya point de se soustraire à la contagion. Et quand elles ne le diraient pas, l’École d’Athènes serait là pour en témoigner[1]. Michel-Ange fut le foyer céleste où s’alluma le génie de Raphaël, des sibylles de Michel-Ange sont sorties ces adorables figures de la Poésie, de la Justice, de la Religion, qui décorent la salle de la Signature, comme de ses prophètes sont issus les évangélistes de l’École d’Athènes. Est-ce à la tradition d’un Pérugin ou de tout autre maître du passé que vous rattacherez cette intensité de vie, cette science de l’anatomie, cette liberté magnifique de se mouvoir en dehors des types consacrés ? Les prophètes et les sibylles sont une nouvelle génération d’idéalités. L’artiste rompt cette fois avec la vieille tactique, jette bas les vieilles armes, les vieux uniformes et n’en veut plus qu’à la nature. L’année même où mourait Michel-Ange naissait Shakspeare. Combien d’autres rapprochemens ne ferait-on pas ? Il créa tout un monde d’apparitions, individualisa, pétrit d’humanité son fantastique, substitua l’émotion vraie à l’ancien canon, et trouva ainsi des effets auxquels nul avant lui, Léonard excepté, n’avait atteint. Et cette liberté, cet élan furieux vers l’avenir et ne permettant plus de retour, — les lui a-t-on assez reprochés ? Ces douze années d’études anatomiques ont-elles assez servi à ces braves gens de tous les temps et de tous les pays, qui n’entendent pas être brutalisés par la vue de ce qu’ils appellent des attitudes contournées, veulent que les sibylles ressemblent aux grâces et ne pardonnent pas à Shakspeare de « faire laid, » en nous représentant les sorcières de Macbeth !

« Raphaël a traversé la chapelle Sixtine. » Encore une de ces paroles de mauvaise humeur qu’on prête à Michel-Ange, et qui ne sont en définitive qu’un témoignage de plus à la gloire de ces deux

  1. « Le Parnasse et la Dispute procèdent encore de l’ancien style, l’École d’Athènes est le produit de la défection envers Pérugin et du passage à Michel-Ange. Raphaël commença la Dispute en 1508, il y travailla ainsi qu’au Parnasse jusqu’à la fin de 1509. À cette époque, et après avoir eu connaissance de la Sixtine à moitié terminée en 1509, il commença l’École d’Athènes, terminée en 1511. » Herman Grimm, Raphael’s Disputa und Schule von Athen, p. 223.