barbare des Borgia, semant l’or, suscitant partout le génie et la main-d’œuvre et ne s’épargnant ni efforts ni peine pour remplacer cette agglomération de cavernes par des rues bien tracées et de splendides édifices où circulent librement l’air et la lumière, À cette restauration, Raphaël dédia ses plus belles années, qui furent celles qu’il vécut à Rome, — période de jeunesse et de maturité que l’art et les amours emplissent tout entière et dont ni préoccupations politiques ni retours chagrins ne viennent, comme, chez Michel-Ange, altérer la sérénité.
Lorsque Raphaël mourut, Michel-Ange était à Florence ; l’histoire et la chronique ne nous entretiennent que de l’antagonisme de ces deux hommes ; le fait est que, tous deux luttant pour la suprématie, ils ne pouvaient ni s’aimer ni se haïr. Ils imitaient ces héros des anciens poèmes, qui, dès qu’ils se rencontrent, se mesurent, se combattent, et joutent à qui restera maître du terrain. Demander de la modération à de pareils champions, quelle idée ! L’un et l’autre s’accorderont à placer l’art des anciens au-dessus du leur ; quant à se voir mis en parallèle avec des contemporains, jamais ils ne le souffriront. On raconte qu’un jour Goethe et Tieck devisaient ensemble de bonne amitié ; Tieck, dans l’entraînement de la conversation, osa se comparer à son interlocuteur, mais celui-ci l’arrêta court : « Te comparer à moi, s’écria-t-il, mon cher Tieck, songe donc une fois pour toutes qu’il y a de toi à moi juste la même distance qui me sépare, moi, de Shakspeare ! » Lorsque deux personnages comme Raphaël et Michel-Ange sont en présence, il n’est besoin de commentaires ni d’anecdotes, observons leurs tempéramens, leurs caractères, allons au fond de l’homme et de l’artiste, figurons-nous le théâtre où leur activité se développe, cette Rome, centre de la politique et des arts, et tout de suite le spectacle de leurs rapports réciproques va se coordonner à nos yeux de soi-même, comme on voit les scènes d’un drame se dégager dans notre esprit d’une forte et sérieuse conception des caractères. Qui voudrait parler ici de ces haines ignobles nées de l’étroitesse de cœur, croire à ces méconnaissances résolues des natures médiocres qui se cachent les yeux de leurs mains pour ne pas admirer ? « Raphaël, aurait dit Michel-Ange, ne possède rien par génie et doit au travail tout ce qu’il est. » Eh bien ! cette parole eût-elle été prononcée, quel sens injurieux ou simplement défavorable contiendrait-elle ? Et comment un homme qui savait aussi pertinemment que Michel-Ange les prix du travail, comment un tel ouvrier, un tel maître, s’y prendrait-il pour louer quelqu’un ? Feuilletez les poésies de Michel-Ange, lisez son histoire dans Vasari et Condivi, vous avez le sentiment d’une vaste et prodigieuse existence