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ceux qui jamais ont vécu sur cette terre ! » Ainsi finit le deuxième de ces sonnets.


IV. — MICHEL-ANGE, DANTE ET GIOTTO. — LE TOMBEAU DES MEDICIS.

Il aimait, vénérait Dante, et savait par cœur des chants entiers de la Divine Comédie, l’œuvre la plus inspirée, la plus calculée du génie humain, mortel effort de science et de passion concentrée dont nul mieux que lui n’était né pour s’approprier les résultats. Dante, Giotto, Michel-Ange, trois noms et trois hommes qu’on ne sépare point ! L’essor nouveau imprimé à la vie intellectuelle, de la poésie devait passer à la peinture et régénérer l’Italie. Des perspectives inconnues s’ouvrent à l’œil sur les hauteurs comme dans les abîmes de l’existence. Un homme s’est rencontré qui de son autorité privée cite à son tribunal le passé, le présent. Aux figures qu’il évoque, — visions de l’enfer, du purgatoire et du paradis, — son jugement s’attache en traits de flamme, impérissables comme les stygmates de la foudre dans le roc. Giotto reproduit sur le mur d’une chapelle de Florence l’image du jeune Alighieri, et trois vers immortels du Purgatoire ont payé la dette du poète ; plus tard le peintre et le poète se rencontrent à Padoue, et Giotto recule effrayé devant cette face émaciée, flétrie, dont les épreuves de l’exil ont déjà fait la médaille d’airain que nous connaissons ; enfin un jour que, travaillant à ses cryptes d’Assise, Giotto s’est endormi, il voit en songe l’esprit de Dante qui lui indique comment et dans quel ordre il lui faut disposer et peindre ses personnages. Nous avons dit plus haut ce que nous pensions de ces légendes ; toutes ont du vrai, même alors qu’elles ne sont que de simples inventions. L’esprit de Dante qui se montre ici dans un rêve, c’est le souffle de poésie qui pénètre, anime et transfigure l’Italie entière. À Florence comme à Sienne, partout se montre à nous l’épopée mystique représentée en fresques merveilleuses sur tous les murs des couvens, des églises, des campi santi. Ce n’est point Raphaël qui jamais eût oublié cette grande figure de Dante : regardez plutôt la Dispute, le Parnasse, et Michel-Ange, qui mieux que lui s’en inspirera, qui d’une main plus large remuera l’infini domaine de son puissant compatriote ? Le Caron du Jugement dernier n’emprunte au paganisme que son nom et relève pour tout le reste de la démonologie catholique ; c’est un vrai diable de la troupe de Satan : « Caron, diable d’enfer, les attire autour de sa barque par le flamboiement de ses yeux et frappe de son aviron quiconque essaie de monter à l’abordage. » Tel est le Caron décrit par le poète au troisième chant de l’Inferno, tel aussi celui de Michel-Ange ; voyez les yeux : Occhi di brazia ! Pas un trait ne manque à l’effroyable