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exactitude du tableau, la copie vaut l’original. « Le jour où l’art italien cessera de marcher avec Dante, l’art italien cessera d’être, » disait le grand peintre Cornélius. Pendant que Léon X vivait encore, les Florentins voulurent qu’on leur rendît les cendres de l’illustre proscrit, et même à ce sujet fut adressée au pape une requête que Michel-Ange apostilla dans ces termes : « Moi, Michel-Ange, je me joins au vœu public, m’engageant à construire au divin poète et dans une place d’honneur un monument digne de lui. » L’entreprise n’eut pas de suite, la précieuse relique ne pouvant être retrouvée et les fouilles de Ravenne n’ayant rien produit.

Pour Michel-Ange aussi, l’heure de la proscription était venue, à son tour désormais de « monter l’escalier de l’étranger. » Il allait comparant sa destinée à celle du poète, et ce rapprochement l’aidait à se réconforter. Venise ne le conserva pas longtemps. Bientôt un vif regret le prit d’avoir quitté Florence, et, renseigné sur l’état des esprits dans l’héroïque cité de l’Arno, il résolut d’y rentrer pour prendre part aux derniers efforts de la défense ; mais, hélas ! à quels nouveaux désastres il assista. Revenu en novembre 1529, il vit au mois d’août de l’année suivante la ville choir définitivement. Jusqu’au dernier moment on avait espéré le secours du roi de France ; une pareille intervention eût tenu du miracle, tous le savaient, et pourtant, lorsqu’en juillet 1530 la nouvelle se répandit que François Ier avait à leur retour de Madrid embrassé ses enfans à Bordeaux, les cloches emplirent l’air de leurs sonneries, et des hymnes d’action de grâces s’élevèrent de toutes les églises. La peste néanmoins faisait rage, la famine aussi ; on avait mangé les chevaux et les chats, on mangea les rats ; 8,000 citoyens et plus de 16,000 soldats étrangers avaient péri. Le 6 août, les portes s’ouvrirent au vainqueur ; la capitulation stipulait une amnistie générale, mais où sont les actes qui jamais ont préservé les biens et la personne des vaincus ? La restauration des Médicis s’accomplit sous de sanglans auspices ; les loups rentraient les dents longues et la griffe aiguisée d’avance : on rechercha les chefs du mouvement, ceux dont on parvint à s’emparer furent mis à mort ; Michel-Ange, qu’un pareil destin menaçait, n’y échappa qu’en se dérobant. Il se tint caché, selon les uns, chez un ami et, selon une tradition de la famille Buonarotti, dans le clocher de San Nicolo oltra Arno ; il attendit là que la colère de son ancien bienfaiteur eût jeté ses feux. Le pape voulait sa perte, il reprochait à Michel-Ange non-seulement d’être un des plus violens entre les insurgés, mais aussi d’avoir poussé le peuple à démolir le palais des Médicis, accusations et mensonges qui bientôt se dissipèrent. Le pape ne se ressouvint plus alors que du grand artiste, auquel il offrit de rentrer en grâce avec les appointemens d’autrefois, à cette