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scission s’était produite entre ses sociétaires. Talma, Grandmesnil, Dugazon, les deux Baptiste, Michot, Damas, Mmes Vestris, Lange, Monvel, allèrent s’établir dans la salle Louvois. Cet édifice, récemment bâti par l’architecte Brongniard sur l’emplacement de l’ancien hôtel du ministre de Louis XIV, sert aujourd’hui de magasin de décors à l’Opéra-Comique. Malgré le grand nom des artistes, l’exploitation périclita. Les sociétaires non dissidens, de leur côté, n’eurent pas plus de bonheur. Ceux-là voulaient conserver la Comédie-Française avec ses vieilles traditions. On commença par les arrêter tous comme contre-révolutionnaires, à l’exception de Molé et de Desessarts. Relâchés quelques mois plus tard, ils revinrent rue de Richelieu, toujours sans succès ; si bien que le 6 frimaire an XI les consuls durent prendre un arrêté qui forçait les anciens sociétaires à reconstituer la Comédie-Française. Néanmoins elle ne retrouva sa splendeur qu’après le décret de 1806, qui supprimait la liberté des théâtres.

L’Odéon eut des destins aussi tourmentés. La Montansier l’ouvrit le 16 août 1794, et le ferma à la fin de novembre de la même année. Cinq troupes essayèrent successivement d’y attirer le public sans pouvoir y réussir. La plus connue s’y installa en janvier 1798. On y rencontrait des artistes célèbres ou des comédiens aimés du public, comme Saint-Prix, Saint-Phal, Vanhove, Mlle Raucourt, Mme Joly ; comme Picard, l’auteur de la Petite Ville, et qui fut de l’Académie française.

Ainsi la ruine pour tous, pour les entrepreneurs, qui faisaient faillite, pour les acteurs, qui n’étaient pas payés, voilà ce que produisit l’autorisation donnée par l’assemblée constituante de jouer partout. Les esprits n’avaient pas tardé d’ailleurs à en être frappés, puisque dès l’an VII, voyant les funestes effets causés par la multiplicité des théâtres, le directoire en provoqua la réduction.

Un autre résultat désastreux amené par cette liberté illimitée, ce fut l’abondance de mauvais acteurs. Auparavant, un comédien, ne pouvant paraître devant le public qu’à la Comédie-Française, était obligé de se livrer à une étude approfondie de son art. Le grand nombre des théâtres fit surgir plusieurs centaines d’acteurs qui ne savaient rien et ne voulaient rien apprendre. Le même désordre se retrouve dans les œuvres dramatiques représentées pendant cette période de quinze ans ; elle produisit peu d’ouvrages de valeur, car les pièces célèbres, telles que la Mort d’Abel de Legouvé, l’Ami des lois de Laya, les Victimes cloîtrées de Monvel, le Fénélon de M.-J. Chénier, ne furent en somme que des manifestations politiques. Il faut, remarquer du reste que les auteurs dramatiques distingués ne profitèrent que très peu des nombreux théâtres créés